samedi 29 décembre 2018

Bienvenue sur  Transtradition

Vous trouverez sur ce blog différents textes que j'ai rédigé sur des sujets  de société, de théologie ou de spiritualité, ainsi que des poèmes et des écrits divers. Ils sont accessibles sous des onglets thématiques .
Vos commentaires et vos appréciations sont les bienvenus .
Noel Imbert - Bouchard
n.imbertbouchard@gmail.com

lundi 24 décembre 2018

JOUEX NOEL PAR JEAN PAUL SARTRE



« Mais, comme c’est aujourd’hui Noël, vous avez le droit d’exiger qu’on vous montre la crèche. La voici. Voici la Vierge et voici Joseph et voici l’Enfant Jésus. L’artiste a mis tout son amour dans ce dessin mais vous le trouverez peut-être un peu naïf. Voyez, les personnages ont de beaux atours mais ils sont tout raides : on dirait des marionnettes. Ils n’étaient sûrement pas comme ça. Si vous étiez comme moi dont les yeux sont fermés… Mais écoutez : vous n’avez qu’à fermer les yeux pour m’entendre et je vous dirai comment je les vois au-dedans de moi. La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’il faudrait peindre sur son visage c’est un émerveillement anxieux qui n’a paru qu’une fois sur une figure humaine. Car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l’a porté neuf mois et elle lui donnera le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Et par moments, la tentation est si forte qu’elle oublie qu’il est Dieu. Elle le serre dans ses bras et elle dit : mon petit ! Mais, à d’autres moments, elle demeure tout interdite et elle pense : Dieu est là – et elle se sent prise d’une horreur religieuse pour ce Dieu muet, pour cet enfant terrifiant. Car toutes les mères sont ainsi arrêtées par moments devant ce fragment rebelle de leur chair qu’est leur enfant et elles se sentent en exil à deux pas de cette vie neuve qu’on a faite avec leur vie et qu’habitent des pensées étrangères. Mais aucun enfant n’a été plus cruellement et plus rapidement arraché à sa mère car il est Dieu et il dépasse de tous côtés ce qu’elle peut imaginer. Et c’est une dure épreuve pour une mère d’avoir honte de soi et de sa condition humaine devant son fils. Mais je pense qu’il y a aussi d’autres moments, rapides et glissants, où elle sent à la fois que le Christ est son fils, son petit à elle et qu’il est Dieu. Elle le regarde et elle pense : « Ce Dieu est mon enfant. Cette chair divine est ma chair. Il est fait de moi, il a mes yeux et cette forme de sa bouche c’est la forme de la mienne. Il me ressemble. Il est Dieu et il me ressemble. » Et aucune femme n’a eu de la sorte son Dieu pour elle seule. Un Dieu tout petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’on peut toucher et qui vit. Et c’est dans un de ces moments-là que je peindrais Marie, si j’étais peintre, et j’essaierais de rendre l’air de hardiesse tendre et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet enfant-Dieu dont elle sent sur ses genoux le poids tiède et qui lui sourit. Et voilà pour Jésus et pour la Vierge Marie.
Et Joseph ? Joseph, je ne le peindrai pas. Je ne montrerai qu’une ombre au fond de la grange et deux yeux brillants. Car je ne sais que dire de Joseph et Joseph ne sait que dire de lui-même. Il adore et il est heureux d’adorer et il se sent un peu en exil. Je crois qu’il souffre sans se l’avouer. Il souffre parce qu’il voit combien la femme qu’il aime ressemble à Dieu, combien déjà elle est du côté de Dieu. Car Dieu a éclaté comme une bombe dans l’intimité de cette famille. Joseph et Marie sont séparés pour toujours par cet incendie de clarté. Et toute la vie de Joseph, j’imagine, sera pour apprendre à accepter. »
Extrait de Bariona, ou le jeu de la douleur et de l’espoir, de Jean-Paul Sartre, in Théâtre complet, pp. 1163-1165, Pléiade © Éditions Gallimard.



La Nativité d’un athée
Jean-Paul Sartre, le philosophe de la liberté, athée, auteur d’une description émerveillée de la crèche de Noël et de la nativité du Christ ? On a du mal à le croire. Et pourtant, ce texte est extrait d’une pièce de théâtre, Bariona, ou le jeu de la douleur et de l’espoir, écrite, mise en scène et jouée par Sartre – grimé en Balthazar, le Roi mage ! – en 1940, alors qu’il était prisonnier au Stalag XII-D de Trèves, en Allemagne. À l’approche de Noël, des compagnons de captivité, dont beaucoup sont catholiques, sollicitent Sartre pour qu’il écrive une pièce qui leur redonnerait espoir.



mercredi 19 décembre 2018

LE GRAIN DE SENEVE DE MAITRE ECKHART


                                               
Commentaire de Noel IMBERT BOUCHARD sur le Grain de sénevé (granum sinapsis )  
De Maître ECKHART

Le grain de Sénevé est un poème en allemand, le seul connu de Maître Eckhart et l’origine de son auteur ne fait pas de doute. Il avait semble-t-il vocation à être chanté comme lied dans une séquence liturgique[2].
Ce poème concentre de manière dense la pensée théologique de Maître Eckhart qui emprunte là, une voie originale. La théologie, comme la philosophie constituent des modes spéculatifs qui se prêtent avec difficulté à un traitement poétique ; cette difficulté explique peut-être la rareté de la production poétique de Maître Eckhart connue à ce jour. Le poème est une tentative faite par Eckhart pour faire éprouver de manière sensible cet au-delà spéculatif qu’est la naissance de Dieu dans l’âme dont la raison spéculative ne peut rendre compte qu’imparfaitement. Car la poésie permet une pluralité d’interprétations sensibles, presque charnelles, différentes de celles qu’offre un texte didactique. Pour ne prendre qu’un seul exemple biblique, le Cantique des Cantiques offre un champ toujours neuf et renouvelé à l’interprétation. Eckhart en utilisera d’ailleurs abondamment les métaphores dans le sermon 71. Aussi le grain de sénevéoffre-t-il des arborescences nouvelles, comme l’arbre éponyme qui se déploie, arborescences qui vont au-delà des mots et des phrases qui les décrivent. Le poème convoque le lecteur à s’affranchir du texte lui-même. Cette liberté qu’offre la licence poétique n’est pas sans risque d’égarement. Mais au cas précis, ce risque est limité par un commentaire latin du texte attribué à Eckhart lui-même, ou parfois prêté à un familier de son entourage dont la pensée est si pénétrée de celle du Leibemeisterqu’on ne peut les différencier. 

La pensée de Maître Eckart a pu être qualifiée de mysticisme spéculatif. La difficulté pour l’auteur est de passer d’un mode spéculatif à une démarche mystique, ces deux appréhensions du réel se situant dans des registres d’expression de nature différente. Le poème est certainement ici un intermédiaire qui autorise avec souplesse ce passage, fonctionnant comme un convertisseur entre deux modes différents. 


Pour autant ce court chant lyrique composé de huit strophes de dix vers n’a pas vocation à servir de compendium à l’immense œuvre mystico- spéculative de Maitre Eckhart. Nous en ferons le commentaire par référence à cette œuvre tout en soulignant la dimension poétique qui lui est propre ainsi que ses résonances avec les thèmes de la symbolique spirituelle universelle. Pour y parvenir, il nous semblé plus pertinent, sans exclure les synthèses nécessaires, de privilégier une méthode analytique qui rend mieux compte de la texture poétique, approche que le commentaire latin du granum avait également privilégiée. La difficulté du commentaire linéaire réside néanmoins dans le fait que dans son agencement interne le poème fonctionne « en boucle », en écho à la boucle par laquelle Eckhart figure la Trinité. Cet enroulement systémique qui en constitue une des richesses provoque parfois un risque de redondance du commentaire que nous avons tenté de limiter en diversifiant les approches d’un thème lorsqu’il s’avère répétitif. Nous avons regroupé ce travail sous trois parties qui constituent des périodes clés du texte  
— le socle trinitaire (strophes1, 2, 3),
— l’appel du désert intérieur (strophes 4, 5, 6, 7), 
— la naissance de Dieu dans l’âme (strophe 8).

samedi 14 juillet 2018


DE
Sacrements, parole de Dieu au risque du corps 
 de Louis-Marie Chauvet [1]
à
Torture et eucharistie 
de William Cavanaugh
Ces deux livres parus en1998 sont parmi les plus connus de ces deux théologiens.
L.M Chauvet est prêtre catholique, français, spécialiste de la théologie sacramentaire. Ses travaux font une large part aux sciences humaines comme la psychanalyse. Son ouvrage d’anthropologie chrétienne montre comment les sacrements chrétiens, l’échange symbolique entre l’homme et Dieu font sens.
William T. Cavanaugh est américain, laïc, universitaire, catholique. Il est perçu comme un penseur radical, qui a formé son analyse théologique à l’occasion de la crise politique qu’a connu le Chili sous la dictature d’Augustin Pinochet (de 1973 à 1990) durant laquelle Amnesty International fait état de 40 000 Chiliens torturés, de viols perpétrés sur des femmes et des mineurs, de centaines de meurtres et de très nombreux disparus dont les corps ne furent jamais retrouvés ; toute la société baignait dans une atmosphère de peur diffuse, de délation encouragée et d’anxiété opaque[3]. La torture des corps physiques constitue l’horrible marqueur identitaire de cette dictature et constitue le sujet dont traite W. Cavanaugh.
Ces deux théologiens dont les travaux sont de nature différente se connaissent néanmoins et il arrive à W. Cavanaugh de faire référence à L.M. Chauvet dont il partage la lecture sacramentelle du symbole. [4]

Pourtant, aussi différents qu’ils soient dans leurs contenus et leurs objectifs, ces deux livres ont souvent des approches théologiques en convergence qu’il nous a paru pertinent d’exploiter. Mais cette mise en perspective reste nécessairement réductrice et ne peut prétendre rendre compte de leur extrême densité théologique.







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Le Cantique des Cantiques
Les interprétations et implications théologiques et éthiques
des différentes traductions



Lorsque le lecteur parcourt le texte du cantique des cantiques (Ct des Ct)  et suit les différentes traductions et interprétations qui en ont été faites, il est surpris qu’un texte aussi court de 117 versets, qui s’apparente à un poème érotique ou à un chant nuptial, tel qu’il en existait dans l’orient antique, puisse donner lieu à des interprétations aussi variées et multiples sur les plans esthétiques, éthiques et théologiques.

Il n’est donc pas surprenant que, compte tenu de cette capacité polysémique et «néo sémique»,  les différentes interprétations du texte correspondent à des orientations théologiques différentes, qu’elles soient juives, catholiques, protestantes ou à des lectures symboliques, cabalistiques ou psychanalytiques. Cette grande plasticité interprétative est amplifiée par les variantes  de traduction d’un texte qui a de multiples origines hébraïques, grecques et latines.








 Le mystère du surnaturel

Le mystère du surnaturel (1965) fait suite à quatre études du père de Lubac commencées en 1946 par son livre Surnaturel. Dans son introduction au Mystère du surnaturel, Michael Figura écrit que le père de Lubac « rétablit l’articulation organique de l’ordre de la nature avec celui du surnaturel: le « desirium naturale videnedi Deum » (désir naturel de voir Dieu) de Saint Thomas d’Aquin [1] dispose que l’esprit créé est ordonné à une fin divine.



 



COMMENTAIRES SUR EXODE 14

LA BIBLE RELIT LES TRADITIONS




INTRODUCTION

Dans le livre de l’Exode, ce chapitre prend place dans la seconde des trois grandes périodes qui se succèdent: Israël en Égypte, la marche dans le désert, le séjour d’Israël au Sinaï.
Ex.14 constitue un élément clé de la libération d’Israël et développe des thèmes qui ont une valeur paradigmatique pour de nombreux textes de l’ancien comme du Nouveau Testament qui en  opèrent une relecture.

L’exégèse sera conduite du point de vue  de l’analyse littéraire et de l’approche narrative d’Ex14 et seraeffectuée une relecture comparative d’Esaïe 43 (16-21).





Saint Augustin :

 de l’expérience religieuse à l’interprétation théologique




Plusieurs des étapes significatives qui jalonnent la vie de saint Augustin constitueront des ferments de sa théologie. Son expérience religieuse et sa conversion constituent un archétype: « on comprend que cette conversion a une dimension herméneutique. Non seulement elle conduit à la constitution de l’être, mais elle fonctionne également comme un principe d’interprétation pour son œuvre »[1].

La vie d’Augustin n’est pas séparée en deux parties étanches pré et post conversion; sa période de jeunesse a une valeur expérientielle, mais celle de la maturité n’est pas que théorique: les deux sont en correspondance permanente et s’enrichissent. Rien pour lui n’est définitivement  acquis et la notion très moderne de progrès lui est familière; il écrit en fin de vie des « Retractaniones » par lesquelles il s’emploie à corriger et enrichir ses pensées antérieures. « J’écris en ce moment des livres ou j’ai entrepris de reprendre mes petits ouvrages, afin de montrer que ma pensée n’a pas toujours été identique à elle-même en tous points, je pense au contraire avoir progressé dans mes écrits, par la miséricorde de Dieu et non pas avoir été parfait dès le début. » La pensée d’Augustin est évolutive, et son mouvement en fait à la fois la richesse vivante et la difficulté de saisine.

vendredi 13 juillet 2018


« Morale pour un temps de nihilisme » de Paul Valadier[1]




Cet ouvrage de Paul Valadier « la morale sort de l’ombre » rassemble une série d’articles ou d’interventions dans lesquels le philosophe tente de discerner dans quelles conditions la morale peut sortir de « l’ombre » dans laquelle la société la dissimule derrière un brouillard de complexités nouvelles. Car l’ethos actuel est tissé par des politiques, des avancées scientifiques, des comportements individuels et collectifs qui imposent à la morale, et particulièrement à la morale chrétienne, de trouver des méthodes, elles aussi nouvelles, pour s’exercer. Ce n’est pas tant la morale qu’il conviendrait de changer que ses conditions d’application à des terrains nouveaux marqués par le relativisme, le nihilisme, la violence, la mondialisation.  
Cet ouvrage est divisé en trois parties (morale, politique, religion) complétées de fiches biographiques de penseurs qui constituent, à des titres et degrés divers, pour Paul Valadier des marqueurs de la pensée contemporaine (Carl Schmitt, René Girard, Jacques Maritain). Paul Valadier continue par ailleurs à faire recours à deux philosophes de « rupture » classiques qui lui sont familiers : Machiavel pour le politique, Nietzche pour la morale. C’est ce dernier auquel il sera fait constamment référence dans le chapitre 4 de l’ouvrage intitulé «Morale pour temps de nihilisme » qui sera plus particulièrement commenté ici.

Dans une première partie, nous tenterons de dégager les points forts de ce chapitre que P. Valadier a organisé en trois parties : pourquoi qualifier de nihiliste la situation contemporaine de l’individu ? Quelles conséquences en tirer pour la morale et enfin quelle lecture théologique en faire ?
Dans une seconde partie, nous tenterons de commenter et développer ces aspects d’un point de vue éthique et théologique pour en marquer la pertinence et la fécondité éventuelle. 


dimanche 14 janvier 2018

LENT VOYAGE BLANC

La péniche tremblante remontait  un canal sans fin
Des talus herbeux et givrés me cachaient un horizon deviné.
Le voyage s’étirait, ponctué de lourdes écluses grises.
Parfois penché à la fenêtre d’une maison de batelier,  un  enfant triste regardait le vide.
Puis le lent et fastidieux ronronnement reprenait.

Dans le carré, je suivais du doigt sur la carte les pays traversés ;
J’imaginais au delà des berges , des visages , des rires, des joies d’hommes et de femmes qui vivaient une vie chaude et cuivrée.
Ici le temps givrait lentement à mes côtés.
Je voguais vers le Nord et les cieux  blanchissaient
Comme la prunelle de mes yeux qui les reflétait.

Au huitième jour je rencontrai la glace.
Les moteurs toussaient, impuissants  à pousser  l’étrave qui craquait.
Peu à peu le bateau s’immobilisa dans le silence cristallisé .
Puis tout gela rapidement autour de moi.
Le ciel livide ne respirait plus.
Le sang se figea dans  mes doigts devenus cassants.
Mon cœur s’arrêta doucement
Je devins ange de glace au sourire figé.

Noel IB