DE
Sacrements, parole de Dieu au risque du corps
Sacrements, parole de Dieu au risque du corps
de Louis-Marie Chauvet [1]
de William Cavanaugh
Ces deux livres parus en1998 sont parmi
les plus connus de ces deux théologiens.
L.M Chauvet est prêtre catholique, français,
spécialiste de la théologie sacramentaire. Ses travaux font une large part aux
sciences humaines comme la psychanalyse. Son ouvrage d’anthropologie chrétienne
montre comment les sacrements chrétiens, l’échange symbolique entre l’homme et
Dieu font sens.
William T. Cavanaugh est américain, laïc,
universitaire, catholique. Il est perçu comme un penseur radical, qui a formé son
analyse théologique à l’occasion de la crise politique qu’a connu le Chili sous
la dictature d’Augustin Pinochet (de 1973 à 1990) durant laquelle Amnesty International
fait état de 40 000 Chiliens torturés, de viols perpétrés sur des femmes et des
mineurs, de centaines de meurtres et de très nombreux disparus dont les corps
ne furent jamais retrouvés ; toute la société baignait dans une atmosphère de
peur diffuse, de délation encouragée et d’anxiété opaque[3].
La torture des corps physiques constitue l’horrible marqueur identitaire de
cette dictature et constitue le sujet dont traite W. Cavanaugh.
Ces deux théologiens dont les travaux
sont de nature différente se connaissent néanmoins et il arrive à W. Cavanaugh
de faire référence à L.M. Chauvet dont il partage la lecture sacramentelle du
symbole. [4]
Pourtant, aussi différents qu’ils soient
dans leurs contenus et leurs objectifs, ces deux livres ont souvent des
approches théologiques en convergence qu’il nous a paru pertinent d’exploiter. Mais
cette mise en perspective reste nécessairement réductrice et ne peut prétendre rendre
compte de leur extrême densité théologique.
Nous présenterons ce qui nous semble constituer
un triptyque thématique commun aux deux ouvrages autour de la notion de corps
physique, ecclésial, social par :
·
La médiation
·
L’Eucharistie
et l’Eglise,
·
La
sacralité élargie
(NB : par
commodité de lecture les renvois aux paginations des très fréquentes citations
extraites de ces deux ouvrages seront faits directement après celles-ci, les
autres ouvrages cités étant indexés classiquement en note de bas de page).
1) Les enjeux de la médiation
1-1) La médiation comme processus constitutif
de la personne
L’exposé
que L.M Chauvet fait de la médiation, comme processus anthropologique constitutif
de la personne, facilite l’appréhension du mécanisme de déconstruction des
corps par la torture décrit par W. Cavanaugh.
a) « Le langage enseigne la
définition même de l’homme [5]».
Pour
L.M. Chauvet l’homme n’advient à l’univers et ne se constitue comme sujet que
par le langage. Il fait référence à des linguistes comme J. Benveniste ou des
psychanalystes comme J. Lacan. Contrairement à des idées instinctives qui
voudraient que l’homme entretienne un rapport direct au réel dont il se fait
une image mentale qu’il traduit ensuite sous forme de langage, le rapport au
réel ne s’opère pas de cette manière itérative. L’homme ne se situe pas en
amont du langage auquel il donnerait naissance « ex post », mais c’est dans, et
par le langage qu’il accède au réel et se constitue en tant que sujet. L’être
humain ne préexiste pas au langage qui lui est contemporain. Pour penser,
il faut déjà être dans le langage ! La saisine que l’homme opère du monde et de
lui-même se fait à travers de nombreuses autres médiations que sont le signe
écrit, le corps, le désir, une histoire, une institution, qui constituent le
milieu par lequel il advient à la vérité qui est la sienne. Même si à tout
moment son désir profond est d’atteindre directement la « chose », d’effectuer
une saisine de l’« en soi » de celle-ci, ce désir ne peut être que déceptif et
conduit à appréhender un objet mort. Tout rapport humain au réel est
culturellement construit. Ce qui est pris souvent pour naturel est en fait du
culturel. L.M Chauvet compare cette médiation par la culture et le langage (par
le signe diraient les sémiologues) à un filtre qui se forme dès le ventre
maternel.
b) La médiation de l’Eglise
L.M
Chauvet illustre le phénomène de médiation en évoquant les travaux de Claude
Levy - Strauss sur la prohibition de l’inceste. Cet interdit fixe une
règle qui fait différer le désir d’immédiateté (et l’on pourrait ajouter comme
le font certains anthropologues chrétiens le renoncement à la mêmeté qui
justifiait par exemple la réprobation de la masturbation qui s’oppose à
l’altérité). L.M Chauvet écrit : « cette
loi de renoncement à l’immédiateté est la loi fondamentale créant l’espace, le
vide, au sein duquel vont pouvoir prendre place toutes les autres lois » (p.33). Nous pourrions soutenir en
complément que la loi n’est pas là, d’abord pour interdire quelque chose, mais
d’abord pour que quelque chose soit interdit, et cela vaut sans doute pour la
loi divine. La fonction des rapports sociaux construits est de mettre les
choses à distance pour « commettre le
meurtre de la chose » suivant une formule de Jacques Lacan (p.29). Ce rappel anthropologique et
psychanalytique, qui fait percevoir que le réel est perçu et construit à
travers une couche sémiologique, est nécessaire pour aborder la médiation qui
est celle de l’Église, médiation par les sacrements indispensables pour
parvenir à entretenir un rapport vivant avec Dieu que l’on ne peut « voir » ou
« saisir » directement. Tous les éléments symboliques qui mettent le réel à
distance se tiennent entre eux et forment pour L.M Chauvet une structure qui
est un ordre symbolique par lequel l’individu advient comme sujet. Il distingue
et même oppose le symbolique à « l’imaginaire ». Ce dernier tendrait à être une
instance régressive du désir de retrouver l’immédiateté des choses par
appréhension directe (les évangiles montrent abondamment l’impossibilité de « saisir »
Jésus dès que la foi l’a reconnu). Cette pulsion de l’imaginaire induit un
effacement de l’altérité et l’individu qui espère retrouver sa propre image
embellie va s’y perdre comme Narcisse dans la sienne.
c) L’ordre symbolique et
l’imaginaire social
Pour
se constituer l’individu doit adhérer à un ordre symbolique, c’est-à-dire « un ensemble cohérent de valeurs sociales, cognitives,
éthiques, esthétiques, philosophiques politiques, vestimentaires, culinaires […]
cet ensemble forme un “monde” cohérent veut dire que chaque élément de l’univers,
de la société, de la vie individuelle ne prend sa signification que s’il y
trouve sa place » (p.32). Tous ces éléments
forment système et se tiennent les uns les autres comme une puissance de production
d’un ordre social. Pour L.M Chauvet cette dimension symbolique est plus vaste
et opératoire que celle d’un signe. Elle est productrice de sens et d’action.
Cette conception est proche de ce que W.Cavanaugh décrit comme l’imaginaire
social, empruntant ce terme à Cornélius Castoriadis, comme un dispositif social
producteur de sens pour la société. Ce n’est pas une simple symbolisation
représentative du réel, ou une formation mentale collective, mais la condition
qui rend possible l’organisation et la signification des corps dans une
société. C’est donc une force sociétale productrice et organisatrice de
l’espace et du temps dans lequel les corps sont « disciplinés ». C’est ce qui
nourrit « l’âme » des corps et c’est la lutte pour le contrôle de cette
imagination sociale qu’il décrit comme l’enjeu du régime militaire.
1-2) la désintermédiation des corps
par la torture
a)
La lutte contre la médiation
L.M
Chauvet note « et si au lieu de faire
obstacle à la vérité, les médiations sensibles du langage, du corps, de
l’histoire, du désir, constituaient le milieu même au sein duquel l’être humain
advient à sa vérité, et ainsi correspond à la Vérité qui le sollicite ? » (p.24).
W.
Cavanaugh montre que la torture des corps a pour but de s’attaquer à la « vérité »
évoquée ci-dessus afin de remplacer un imaginaire social par un autre qui est
une conception globale du monde, une « weltanschauung ».
Pour W. Cavanaugh l’État totalitaire
chilien avait pour objectif de détruire les corps intermédiaires qui
constituaient la société civile pour ne laisser que l’État face à l’individu
désormais isolé. Dans un régime dictatorial la torture sur les corps physiques
des individus crée des barrières aliénantes qui les isole, les dissout en tant
que personne et détruit par effet induit les corps sociaux qui médiatisaient
leur rapport au monde. W. Cavanaugh soutient que l’histoire de l’État depuis l’époque
médiévale est une lutte engagée par celui-ci pour combattre les corps intermédiaires
d’appartenance afin d’assurer son emprise directe sur les individus. Le cas du
Chili est extrême, mais le processus qui conduit à la torture reste actif[6]
dans le monde aujourd’hui et W. Cavanaugh déplore que les USA prisonniers des « idolâtries du marché et de l’État » mènent
une « guerre contre la terreur »
qui les conduisent à pratiquer la torture (sans doute pensait-il plus
particulièrement à Guantanamo). Contrairement aux dictatures idéologiques fascistes
ou marxistes, le régime militaire chilien ne s’appuyait sur aucun parti ou
mouvement de masse ; seule l’oligarchie financière ayant favorisé son accès au
pouvoir[7].
S’auto
justifiant comme un recours contre le communisme rampant et comme une volonté
de restauration des valeurs chrétiennes menacées dans la société chilienne (à
l’expérience les deux arguments se révélant sans fondement) le régime de A.
Pinochet, en l’absence de tout socle fondateur, tenta de se forger sa propre
légitimité mythique en créant de toute pièce les éléments qu’il était censé
combattre. Pour apporter ce qu’il voulait faire apparaître comme une réponse,
le régime s’évertuait à « donner corps » à un problème inexistant. S’il n’était
pas tombé pour y parvenir dans le tragique épouvantable que constitue la
torture, cette poursuite de chimères aurait pu le qualifier comme l’Ubu Roi d’Alfred
Jarry.
b) La perte du langage comme aphasie
sociale
Dans le cas du Chili la torture n’avait
pas pour but de faire avouer aux individus des faits d’opposition que le régime
connaissait déjà, quand ce n’est pas lui même qui les créait ; la torture avait
pour but de briser le psychisme individuel, de faire en sorte que l’individu en
souffrance soit dépersonnalisé par la douleur et l’anxiété et devienne
aphasique au sens propre et figuré (incapable même de qualifier sa douleur à l’instar
des survivants des camps de la mort nazis). Or comme nous l’avons développé précédemment,
la personne se constitue par le langage. L’individu torturé devenu aphasique
social était « réinjecté » dans la société chilienne, comme on introduirait un
acide corrosif dans les rouages sociétaux. Le torturé contribuait par son
aliénation et sa radicale insociabilité à ne plus entretenir des liens sociaux
normaux. Le corps physique de l’individu ne lui appartenait plus et lui-même
n’appartenait plus à aucun corps social. De fait, il n’y a plus de différence
entre les deux. W. Cavanaugh précise que cette image du « corps » est décisive
pour les desseins de son livre et cette image concerne à la fois les corps
physiques des hommes et les corps sociaux auxquels ils se rattachent[8].
L’individu n’avait plus comme seul intermédiaire, et paradoxalement comme seul recours
que l’État tortionnaire qui l’avait placé dans cette situation. Pour W.
Cavanaugh la torture était une liturgie pervertie. Si la liturgie (la leitourgia) a pour but de créer un tout
collectif homogène plus grand que la somme des individus qui le constitue, la
torture qui poursuit le but exactement opposé qui est d’imaginer la société de manière
atomisée et parcellisée. Mais in fine l’objectif poursuivi est bien la destruction
de l’individu comme sujet et comme acteur social. De plus, double appartenance (corps
physique et corps social) s’inscrit dans une seule relation. W. Cavanaugh cite
l’anthropologue Mary Douglas qui conforte l’analyse de L.M Chauvet lorsqu’elle
écrit : « le corps social exerce une
contrainte sur la façon dont le corps physique est perçu. L’expérience physique
du corps est toujours modifiée par les catégories sociales à travers desquelles
il est connu, entretient une vision particulière de la société. Il y a un
continuel échange de significations entre les deux types d’expérience corporelle
de sorte que chacune renforce les catégories de l’autre » (p.39). La
torture supprime cette intermédiation dialoguale. Cela correspondait à la
volonté pour le régime de « contrôler un
imaginaire social différent dont les corps étaient le champ de bataille » (p.99).
Pour résumer L.M Chauvet expose le
processus de constitution du sujet par la médiation et W.Cavanaugh montre à
l’inverse comment la désintermédiation par la torture réifie le sujet
2 — L’eucharistie et l’Église corps du Christ
2-1) L’Église et le pouvoir temporel
Au Chili, dans un pays très majoritairement
catholique, face à un régime dictatorial se proclamant antimarxiste, qui
prétendait vouloir restaurer les valeurs chrétiennes menacées, que pouvait
faire et qu’a fait l’Église chilienne ? L’histoire de l’Église au Chili,
subissant le joug militaire, est celle d’une certaine incapacité à réagir et à agir
contre la dictature et c’est l’analyse de « cette
église qui apprend à être opprimée » (ch. 2) et « qui est en train de disparaître » (ch. 3) que décrit W. Cavanaugh.
Il paraissait logique que l’épiscopat
chilien au moment de la prise de pouvoir, restât dans l’expectative, car il
pouvait penser que la référence aux valeurs chrétiennes proclamées par les
militaires étaient de nature à permettre un rassemblement des chiliens ;
l’unité du pays ayant été malmenée par le régime précédent du président Allende
(l’Église elle-même n’ayant pas échappé aux tensions internes). Témoin de cette
position attentiste un évêque chilien déclara : « résister à une dictature athée c’est facile ; le difficile c’est de
résister à une dictature catholique ». Ces atermoiements avaient pour
justification que l’Église est un corps religieux dont le royaume n’est pas de
ce monde et qu’elle n’agit pas dans le domaine politique ; sa crainte était d’interférer
avec le domaine temporel sous peine d’en être un élément de plus et de manquer
à sa mission exclusivement spirituelle qualifiée de « mystique ». L’Église se
considérait non pas comme un corps social ayant vocation intervenir directement
pour contrer les exactions, mais comme un corps religieux, un corps mystique qui
unissait tous les chrétiens au-dessus des péripéties du monde temporel (car tortureur
et torturé étaient tous deux chrétiens !). Ce rôle en « surplomb » de la société
civile faisait de l’Église une gardienne des âmes, mais non des corps
abandonnés au pouvoir temporel.[9]
22)
La « césure meurtrière » de l’Église
Cet abandon pour W. Cavanaugh peut être
relié en partie à l’activité de l’Action Catholique et à l’influence de Jacques
Maritain en Amérique du Sud. W.
Cavanaugh consacre le chapitre 3 de son livre « une église en train de disparaître » au processus contemporain
qui a conduit le pape Pie XI dans les années 30 à abandonner la présence
de l’Église dans la sphère politique (en retirant par exemple le soutien
apporté aux partis chrétiens-démocrates dans les parlements européens). Pie XI
avait pour but premier le salut des âmes mais le salut pour lui est d’abord spirituel
et non temporel. Ce retrait avait pour corollaire un engagement accru de la
présence sociale de l’Église au sein de la société [encyclique Quadragesimo anno]. Le levier pour agir
était l’Action Catholique, « la prunelle
de nos yeux » selon l’expression papale. Celle-ci était formée de laïcs
dotés d’une bonne formation spirituelle qui devaient être les porteurs de
l’ambition sociale de l’Église par leur action dans le monde. W Cavanaught note
que cette logique correspond à la distinction néo-scolastique entre le but
naturel du travail et le but surnaturel de la personne qui réalise ce travail.
Une action purement professionnelle [soigner, enseigner, produire] peut
s’accomplir avec le désir profond de la gloire de Dieu dans un milieu qui peut
ne pas être chrétien. Suivant une formule célèbre de Jacques Maritain « le chrétien peut agir “‘en”‘chrétien, mais
non en chrétien “’en tant que tel ». Dans les années 50 Madeleine
Delbrêl travaillant de concert avec des communistes, tout comme les prêtres
ouvriers, a illustré cette démarche. Jacques Maritain eut une grande influence
sur la distinction entre spirituel et temporel par le grand écho fait à « Humanisme intégral » son œuvre
principale. L’influence de J. Maritain a été si importante en Amérique latine
que W. Cavanaugh y voit une des causes d’abandon par l’église des corps à l’État.
L’Église s’étant retirée de l’intervention
directe dans les affaires temporelles elle ne constituait pas pour autant le
corps du Christ qu’elle aurait dû être, corps médiateur de résistance composé
de tous les chrétiens partageant l’eucharistie. Elle s’était en quelque sorte
vidée d’elle même et ce sont les causes de cette perte de « substance » que
s’attachent à montrer W.Cavanaugh (p.325) et
P.M Chauvet (p.154) en faisant tous deux référence au père de
Lubac et particulièrement à son livre Corpus
Mysticum : l’eucharistie et l’Église au Moyen Age.[10]
Le père de Lubac met évidence que jusqu’a
la fin du XII° siècle la tradition théologique distinguait un triple corps du
Christ : le corps historique, le corps eucharistique - appelé « corps mystique »
c’est-à-dire « en mystère » - et le corps ecclésial. Pour les pères de l’Église,
le corps ecclésial était la « vérité » du corps du Christ. Telle était la
position de Saint Augustin. Rappelons à cet égard la référence scripturaire
paulinienne de 1 Co 12,12 : « Car, comme le corps est un
et a plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre,
ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il de Christ. Nous avons tous, en
effet, été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit juifs,
soit grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un
seul Esprit ».
L’eucharistie et l’Église formaient un ensemble organique une « communio », qui
actualisait le corps historique de Jésus. Mais à partir du XIII° siècle, sous
diverses influences théologiques, on va privilégier le rapport du second corps
(mystique) au premier (historique) et ceci va contribuer à distendre de plus en
plus le lien avec le corps ecclésial. Ainsi le cardinal de Lubac écrit que ce
qui constituait la « réalité ultime du
sacrement » à savoir « celle qui en
était autrefois la chose et la vérité par excellence, est expulsée du sacrement
lui-même ». Dans cette nouvelle perspective, l’hostie eucharistique devient
le corpus vérum et l’Église devient
un corpus mysticum. L’Église n’est
plus le sacrement du Christ, mais n’en est plus que le corps mystique. Ce
détournement progressif (car le mouvement se poursuivra jusqu’au XX° siècle)
positionne peu à peu l’Église en dehors du temps historique. L.M Chauvet
rappelle que le père de Lubac qualifie cet événement de « césure meurtrière ». Le père de Lubac cite le théologien Louis
Bouyer qui se demandait si dans l’expression « corps mystique » employée
jusqu’à nos jours, « l’adjectif n’avait
pas chemin faisant dévoré le substantif ». Le père de Lubac, d’après W Cavanaugh
(p.327)
ne cherchait nullement à jeter le doute sur la présence réelle du Christ dans
les espèces ou sur la transsubstantiation, mais il pensait que le bon moyen de
mettre l’accent sur le « réalisme
eucharistique » était de passer par un « réalisme
ecclésial « ’ qui voit la présence réelle du Christ dans les espèces comme
une dynamique travaillant à l’édification de l’Église. L.M Chauvet développe
la même idée : « on ne peut
communier en vérité au corps eucharistique du Christ sans être en communion
avec son corps ecclésial. L’eucharistie est bien le symbole de l’indissoluble “mariage”
du Christ et de l’Église » (p.158). Pour L.M Chauvet il est impossible de
fonder le réalisme de la présence du Christ dans l’eucharistie sans se préoccuper
ou oublier le rapport de celle-ci à l’Église qui est le corps dont le Christ
est la tête. Le père de Lubac écrit : « la
réalité ultime du corps ecclésial, elle qui en était la chose et la vérité par
excellence, est expulsée du sacrement lui-même. Progressivement s’est opérée une
individualisation de la pratique eucharistique qui devenait plus personnelle et
subjective et s’éloignait au fil du temps d’une reconstitution communautaire du
corps du Christ ».
P.M Chauvet et W. Cavanaugh exploitent de
manière similaire les conséquences de cette analyse du père de Lubac : cette
césure a contribué au confinement eucharistique et à l’orientation institutionnelle
de l’Église.
L.M Chauvet estime qu’on va tendre à
séparer l’eucharistie du contexte liturgique où elle advient, du contexte
ecclésial pour lequel elle advient, c’est-à-dire à l’isoler. Moyennant quoi
écrit-il, on risque de la faire fonctionner imaginairement (et nous avons vu
que le recours à « ‘imaginaire »’dans la psychanalytique de L.M Chauvet est une
régression narcissique. En enfermant l’eucharistie dans une métaphysique de la « ‘substance »’
qui néglige le corps, le « ‘pour vous »’ de la Cène, on annihile la relation et
on renforce l’individualisme. «
Celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur mange et boit se
propre condamnation » écrit Paul » [1 Co 11, 27].
Par ailleurs pour mieux parer au risque
d’hérésie concernant « la présence réelle » « on
va couper l’eucharistie de l’Église et cantonner celle-ci en quelque sorte dans
son fonctionnement institutionnel ». Nous pouvons ajouter que celui-ci ne
fera que se confirmer au fil des siècles et l’Église prendra des formes
justiniennes. Parallèlement, en effet miroir, les pouvoirs séculiers, comme le
montre la querelle des investitures, chercheront à se légitimer
spirituellement.
W.Cavanaugh abonde dans ce sens :
pour lui aussi ce renversement ecclésiologique a eu pour conséquence
historique de faire de l’Église une institution s’installant durablement dans
sa propre perpétuation gestionnaire.
Il insiste comme J.M Chauvet sur l’individualisation
eucharistique qui en a résulté. Celle-ci devient plus personnelle et subjective
en s’éloignant au fil du temps d’une reconstitution communautaire du corps du
Christ. Il cite à l’appui le théologien anglican Dom Gregory Dix qui écrit « l’ancien culte de l’eucharistie par
l’ensemble des fidèles est en train de se transformer eu un simple point de concentration
pour la dévotion subjective de chaque fidèle dans l’isolement de son propre
esprit. Et ce point de concentration commence à lui sembler plus important que
l’acte de l’ensemble des fidèles ».
Dans une perspective historique nous
assistons donc à un double mouvement : dans un premier temps à partir du
XIII° siècle l’Église ne fait plus corps organique avec l’eucharistie, en conséquence
elle s’institutionnalise dans le domaine temporel. Mais dans un second temps au
XX° siècle elle se place en retrait du domaine temporel pour investir le domaine
social. Avec ce retrait d’une part et l’évidement eucharistique qu’elle avait
subie d’autre part, l’Église était en difficulté pour faire front à la
dictature chilienne. Ce n’est qu’en retrouvant le chemin de son identité
fondamentale, par une véritable politique eucharistique, que l’Église chilienne
pouvait espérer constituer un corps de résistance efficace : telle est la
thèse soutenue par W. Cavanaugh.
2-3)
L’Église et l’eucharistie
Ce n’est que progressivement que l’Église
chilienne en butte aux attaques répétées du régime va prendre conscience
qu’elle est aussi un corps, le corps visible d’un Dieu invisible, partagé entre
tous ceux qui le forment dans la communion. Elle se libérera progressivement
d’une ecclésiologie qui l’avait amenée à se retirer du monde temporel et en
définitive le subir. Elle n’est pas seulement un corps mystique qui unit tous
les chrétiens au-dessus de la mêlée du monde temporel. Pour reprendre une
expression empruntée à Yves de Montcheuil c’est l’Église qui devient le corps
même du Christ et « c’est l’eucharistie
qui réalise par excellence l’incorporation au Christ [11]».
W. Cavanaugh écrit « si la torture est
l’imagination de l’État, l’eucharistie est l’imagination de l’Église » (p. 351). Comme nous l’avons indiqué, l’imagination
pour lui n’est pas une représentation mentale, une superstructure idéologique,
mais c’est une force agissante, une puissance créatrice, qui rend possible
l’organisation et le sens que l’on donne aux corps dans une société. Pour prendre
une comparaison biologique, elle constitue en quelque sorte l’ADN d’une société.
En changeant l’imaginaire social par un autre, en le disciplinant, c’est bien
l’ADN d’une société que le régime totalitaire souhaitait changer et auquel
l’Église ne pouvait s’opposer efficacement qu’en lui opposant un autre
imaginaire.
2-4) L’eucharistie réorganisatrice
de l’espace et du temps
Pour JM Chauvet il y a une inséparabilité
entre la Parole de Dieu et l’Eucharistie (qui se traduisent dans la liturgie par
le lien entre la table de la Parole et la table du Pain qui ne sont en fait
qu’une seule table). Pour J.M Chauvet les sacrements sont un « précipité » de l’Écriture. Pour lui
comme pour Yves de Montcheuil on ne peut communier au corps
eucharistique du Christ sans être en communion avec son corps ecclésial.
L’eucharistie est bien le symbole de l’indissoluble « mariage » du Christ et de
l’Église (P.158).
On ne peut discerner le corps eucharistique du Seigneur sans
discerner son corps ecclésial.
L.M
Chauvet rappelle que dans la tradition de l’Église « l’ex-communion » était une
privation punitive de la communion et signifiait être privé de « l’Église-communion »
puisque les coupables étaient des membres considérés comme morts du corps du
Christ. Pour L.M Chauvet comme pour W. Cavanaugh le cœur de la vie
sacramentelle est bien l’eucharistie. « Au
cœur de la vie chrétienne, il y a les sacrements, au cœur des sacrements il y a
l’eucharistie, au cœur de l’eucharistie il y la “mémoire vive”. L’avenir
fait partie de la mémoire chrétienne car la mémoire de la passion du Christ
constitue une mémoire actualisée dans toutes ses dimensions y compris
politiques : l’anamnèse c’est vivre aujourd’hui pour demain un événement
d’hier. La mémoire articule le présent du Ressuscité (présent puisqu’il est
toujours vivant) sur le passé de la passion du Golgotha et sur l’avenir de la parousie.
Mais cette fonction disruptive temporelle
bien décrite par L.M Chauvet et qu’il partage amène W. Cavanaugh a une considération
fondamentale : la distinction entre spirituel et politique n’est pas
d’ordre spatial, mais temporel. Si l’eucharistie est prémonitoire de la
parousie en constituant le Corps du Christ ici bas, toutes les distinctions classiques
entre séculier et religieux ou temporel et spirituel tombent. L’eucharistie
rompt avec le monde en brisant l’espace et en reconfigurant le temps.
L’essentiel n’est pas de rendre l’eucharistie politique mais de “rendre eucharistique le monde”
écrit-il. (p.34). Il se réfère par ailleurs au livre du
cardinal de Lubac le surnaturel [12](p.35). Nous savons que celui-ci soutient que “le désir naturel de voir Dieu” qui
inspire tout homme suivant la formule de Saint Thomas d’Aquin est une grâce qui
n’est pas surajoutée au naturel, mais qui fait corps avec lui.[13]
Il n’y a pas de dualisme entre nature et surnature même si l’être humain veut
transcender par nature sa condition. De la même façon que nature et grâce ne
sont pas séparées, W Cavanaugh soutient analogiquement que l’Église du Christ
est dans un continuum entre le premier et le second avènement de Jésus Christ
et cela abolit toute séparation entre profane et sacré. Nous sommes dans
l’entre deux d’un Royaume qui n’est pas encore ici mais qui l’est déjà et
auquel nous aspirons. Car de même que l’homme tend vers ce qui le transcende W.
Cavanaugh excipe que le politique est porteur d’une aspiration à la communion
qu’on ne peut trouver qu’en Dieu.
Les
deux auteurs font référence
à Saint Augustin et W. Cavanaugh écrit “l’eucharistie
est la vraie ‘politique’ comme l’a vu Augustin, parce quelle est la réalisation
publique de l’authentique Cité de Dieu eschatologique au milieu d’une autre cité
qui va vers sa fin.”.
3) la sacramentalité élargie
31)
L’extension de la notion de sacralité
Pour L.M Chauvet l’Église qui représente
le Christ agit par trois moyens : l’Écriture (la connaissance) les
Sacrements (la liturgie) et l’éthique (l’agir). Ces trois pôles sont
indissociables et doivent être pratiqués ensemble. Parmi eux, les sacrements
doivent avoir rien que leur place, mais toute leur place. Pour lui la sacramentalité
est plus vaste que les sacrements eux-mêmes qui sont constitués en “noyaux de densité”
différente qui gravitent comme le feraient des atomes autour d’un noyau central
qui est l’eucharistie qui pèse plus “lourd” que tous les autres. Autour des
sacrements s’étend l’espace de la sacramentalité. Une bénédiction, par exemple,
n’est pas un sacrement, mais entrera dans le domaine sacramentel. C’est dans
cette perspective de sacramentalité élargie nous semble-t-il que l’on peut
considérer la politique eucharistique de lutte menée au Chili qui est définie
dans la préface à l’édition française de son livre par W. Cavanaugh : “décrire une politique alternative centrée
sur l’eucharistie et capable d’accomplir l’espérance du Christ pour un
monde ébranlé”. Le lien entre christologie et politique temporelle est donc
indiqué comme un objectif et il n’est pas excessif de considérer cet ouvrage
comme un “manuel de combat eucharistique”.
3-2)
l’Église reconstituée
Confrontée aux faits de répression
devenus de plus en plus irrécusables, y compris contre ses prêtres, l’église
chilienne, d’abord dans un attentisme prudent, tenta des compromis et une diplomatie
conciliatrice mal payée en retour. Ces atermoiements étaient dictés par l’idée
que les exactions étaient le fait de déviations regrettables et condamnables,
mais n’étaient pas imputables à la nature intrinsèquement perverse du régime. Peu
à peu l’étau se resserrant sur le peuple comme sur l’Église, cette attitude
changea et passa de l’opposition larvée à l’opposition franche et active au
régime et aux hommes qui l’animaient. Cette résistance prit la forme d’un
soutien militant aux opprimés à travers différentes institutions qui avaient
pour but discrètement d’abord, puis de plus en plus ouvertement, d’apporter de l’aide
aux victimes et à leurs familles. Ces organismes de soutien acquirent une telle
influence qu’ils étaient considérés par le régime comme des organismes séditieux
d’opposition à combattre et détruire, ce qu’il ne parvint à faire que très
partiellement.
Faire du torturé un martyr témoignant du Christ
et de sa souffrance, pour n’être plus un objet, mais un sujet, au sein d’un
corps que constitue l’Église c’est “l’armée” rassemblée qui se reconfigura face
au régime de Pinochet. Et cette armée pacifique qui se réinitialise dans sa
fonction réellement médiatrice va conduire des “campagnes”. D’une part, en
excommuniant des bourreaux, action dont la portée théologique est donnée
ci-dessus par l’annotation de P.M Chauvet sur “l’ex- communication” ; d’autre
part, en organisant sur la voie publique des manifestations qui seront vécues par
ses acteurs comme de véritables actes liturgiques. Enfin en créant avec un Comité
pour la Paix — supprimé par le régime — puis un vicariat à la solidarité, des
services d’assistance pour les démunis, des activités éducatives pour le
enfants, de l’assistance psychologique et juridique aux familles des condamnés
ou disparus, des centres artisanaux pour la vente de produits faits par des
femmes, etc. L’église chilienne devint un efficace corps de résistance
communautaire au régime. Cette activité fait mémoire du tableau que Luc dans
les Actes brosse des premières communautés chrétiennes et que rappelle P.M
Chauvet (p.44).
Elles étaient animées par la
communion des cœurs (la Koinomia) fondée
sur la foi et sur des actes de partage. Cette éthique du partage avait pour Luc
valeur théologale “ils sont la communauté
messianique devenue présente”. P.M Chauvet commente Luc par une phrase que
ne désavouerait pas W.Cavanaugh : “ce
partage éthique a valeur de témoignage missionnaire rendu à la résurrection de Jésus”.
Cette activité, explique W.Cavanaugh pour “actualiser
le corps du Christ”, était eucharistique, car l’Église ne se réalise pas
virtuellement : c’est dans les plus pauvres que s’incarne le corps du
Christ. Pour Cavanaugh la “politique” eucharistique a pour fonction d’innerver
le monde sans retomber dans les errements du pouvoir politique. W.Cavanaugh
tente, par ces actions de l’église chilienne “de montrer une sorte de contre politique eucharistique qui forme l’Église
en un corps capable de résister à l’oppression”.
Conclusion
S’il fallait décrire en quelques mots le
lien entre ces deux ouvrages, le point de jonction à partir duquel s’articulent
leurs analyses, c’est le lien du corps. L.M Chauvet le définit bien : “la foi ne peut se vivre, y compris dans ce
qu’elle a de plus ‘spirituel’ que dans
la médiation du corps (surligné par l’auteur), c’est-à-dire aussi bien
d’une société, d’un désir, d’une tradition, d’une histoire, d’une institution,
etc. Le plus spirituel a toujours
lieu dans le plus ‘corporel’ (p.4).
Ces deux ouvrages
présentent d’autres points communs, et notamment le recours à la narrativité :
‘Seigneur toi qui demeures en tout lieu,
as-tu toi aussi été dans la villa Grimaldi ?’.Cette phase du romancier chilien
Ariel Dorfman, que W.Cavanaugh a placé en tête de son ouvrage, rappelle que
cette villa était le centre de torture du régime Pinochet. Par cette formule il
veut sans doute signifier que son ouvrage de théologie est ancré dans la réalité
de la souffrance et de la glaise humaines qui étaient celles du Christ. D’une
manière générale, les deux auteurs privilégient la concrétude et le récit. Si
la narrativité consiste à transformer l’expérience humaine en l’intellection
d’un vécu W. Cavanaugh la pratique abondamment en faisant commenter par les rescapés
eux-mêmes les tortures qu’ils ont subies. Mais P.M Chauvet dans un autre
registre y recourt aussi en définissant par exemple l’identité chrétienne par l’exégèse
narrative de trois récits que sont les disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-35), le
baptême de l’Ethiopien (Ac 8,26-40) et la conversion de Saul (Ac 9, 1-20)
dont il tire une matrice théologique commune (la médiation de l’Église, la performativité
de la Parole).
Chacun des deux ouvrages déborde
largement l’exposé qui en fait ici. On peut légitimement ne pas partager certaines
analyses de W. Cavanaugh, par exemple sur le mode historique de constitution des
États modernes. Mais le théologien ouvre en même temps des pistes de réflexion
stimulantes lorsqu’il écrit : ‘De
plus, même où il n’y pas de torture, le pouvoir des états modernes se fonde
souvent sur le même contrôle des corps et la même individualisation de
l’ensemble des citoyens, auquel tend la torture (p. 36)’.
[1]
CHAUVET
Louis-Marie, les sacrements, parole de
Dieu au risque du corps, Les éditions de l’Atelier,
Paris,
1997,173p.
[2] CAVANAUGH William, Torture et eucharistie, traduit de
l’anglais par C. et J. Rastoin, postface de Michel Fourcade, Ad Solem, Paris,
2009, 445 p.
[3]
https://amnistie.ca/sinformer/communiques/international/2013/chili/chili-daugusto-pinochet
[4] William .CAVANAUGH, l’Église dans la rue :eucharistie et
politique dans BRISON S., GAGEY H.
et J.VILLEMAIN Y.(dir), Église politique
et eucharistie, dialogue avec William T.Cavanaugh, Cerf, Paris , 2016,
p.20.
[5] BENVENISTE E, Problèmes
de linguistique générale I, Gallimard, Paris, 1966, p.259.
[6] Le rapport annuel d’Amnesty international[6] estime
qu’elle est pratiquée aujourd’hui dans 141 pays soit les trois quart des pays
du monde.
[7] Cette collusion est
très bien dénoncée dans le beau roman d’Isabelle Allende « la maison aux
esprits » (19982) et le film homonyme réalisé par Bill August en 1993.
[8] La torture pendant la
guerre d’Algérie, a obéi parfois au même
objectif (cf. le livre « la question » de Maurice ALLEG, paru aux Éditions
de Minuit en 1958)
[9]
Cette position, qui induit que les chrétiens peuvent s’entre-tuer
sur des champs de bataille sans que l’Église en soit réellement affectée est un
curieux paradoxe souligné par W. Cavanaugh
[10] LUBAC (de) Henri, Corpus mysticum, l’Eucharistie et l’Église au Moyen Age, Aubier, Paris,
1944, ch., p.280-283.
[11] MONTCHEUIL (de) Yves, Aspects de l’Église, Éditions du Cerf, col. livre de vie, Paris,
1948, p.41
[12] LUBAC (de)Henri, Surnaturel,
Études historiques, nlle ed. M. Sales, Desclée de Brouwer, Paris, 1991.
[13] Le débat entre nature et surnature est provoqué par
des exégètes de Thomas comme Cajetan et Suarez. Pour eux la nature s’auto suffisant et s’auto
réalisant ne peut contenir une
aspiration qui lui serait naturellement étrangère sauf à contraindre Dieu à la
satisfaire ce qui viendrait contredire sa liberté et la pure grâce.