samedi 14 juillet 2018



 



COMMENTAIRES SUR EXODE 14

LA BIBLE RELIT LES TRADITIONS




INTRODUCTION

Dans le livre de l’Exode, ce chapitre prend place dans la seconde des trois grandes périodes qui se succèdent: Israël en Égypte, la marche dans le désert, le séjour d’Israël au Sinaï.
Ex.14 constitue un élément clé de la libération d’Israël et développe des thèmes qui ont une valeur paradigmatique pour de nombreux textes de l’ancien comme du Nouveau Testament qui en  opèrent une relecture.

L’exégèse sera conduite du point de vue  de l’analyse littéraire et de l’approche narrative d’Ex14 et seraeffectuée une relecture comparative d’Esaïe 43 (16-21).


1. ANALYSE LITTÉRAIRE DE Ex.14

1.1  Limites de la péricope

Elle s’insère après Ex.12 et Ex.13 : Israël sort d’Égypte chassée par le pharaon après les calamités qui se sont abattues sur son pays en Ex.12. Puis Dieu conduit le peuple d’Israël par le chemin du désert vers la mer des joncs pour éviter le pays philistin en guerre en Ex.13. Ex.15, 22-27 va décrire le début de la longue marche dans le désert après le franchissement de la mer. Le début du verset suivant, Ex.15, 1-22, constitue, de fait, un prolongement lyrique de Ex.14 nommé «le cantique de Moïse et Myriam». Cet hymne de louange est chanté et dansé pour remercier le Seigneur du prodige accompli. Ex.14 forme une unité narrative complète, à l’exception de sa conclusion lyrique évoquée ci-dessus. Il aurait donc été imaginable qu’à Ex.14, 1-31 soit rattaché l’hymne de célébration Ex.15, 1-21, ou que 15,1-21 constitue un chapitre complet, ou que la partie 15, 22-27 de nature différente de cet hymne (arrivée des israélites à Elim) soit rattachée à la narration suivante Ex.16 qui en constitue la suite (départ d’Elim).
Mais le découpage actuel, s’il est discutable, permet de tracer une délimitation claire entre ce qui relève de l’action, qui forme une unité cohérente, Ex. 14, et ce qui relève de la célébration de cette action ,Ex. 15,1-21.

1.2. Introduction de Ex.14
Dans une adresse à Moïse, le Seigneur (v.1-v.4) énonce brièvement le cadre de l’intrigue. Il demande à Moïse de faire disposer les fils d’Israël face à la mer. Il affirme sa volonté de «renforcer  le cœur du Pharaon» pour poursuivre Israël qui se trouvera, de fait, sans défense et sans possibilité de repli. De cette apparente contradiction, il compte tirer sa Gloire. A ce stade  du récit, la tension narrative a pour effet que le lecteur pressent qu’un piège se forme sans qu’il en connaisse encore la nature exacte.

1.3. Découpage de la péricope (temps, lieux, acteurs) et procédés stylistiques
Les protagonistes
Les protagonistes principaux sont Yahvé, Moïse, Pharaon, les fils d’Israël, les soldats égyptiens. Le Seigneur est le principal personnage du récit. Il joue un rôle multiple comme concepteur de l’action, interlocuteur de Moïse, guide d’Israël, sous la forme de colonne de nuée et de feu, et influenceur de Pharaon. Moïse est le pivot du récit : intermédiaire actif privilégié, il assure la jonction  entre le Seigneur et des israélites. Il exécute les instructions divines, justifie l’action du Seigneur et exerce des prérogatives divines octroyées. Le Pharaon, symbole de l’ iniquité, est un personnage victime de ses propres pulsions: il est la charnière sur laquelle le Seigneur va agir. Les fils d’Israël sont les bénéficiaires indécis et ingrats pour lesquels l’action est organisée; ils constituent la principale préoccupation de Dieu et sont placés sous l’autorité de Moïse qu’ils  récusent devant les difficultés. Ils sont partagés entre regrets et espoirs. Les égyptiens sont figurants de second plan.

1. 4.Les dialogues
Plusieurs procédés sont utilisés pour captiver le narrataire.
Le mode narratif est mixte: le récit est produit par un conteur extradiégétique qui montre les situations (showing) dans lesquelles une grande place est faite aux dialogues intradiégétiques des protagonistes qui occupent près de la moitié du récit :

Le Seigneur donne ses instructions à Moïse (mode impératif)
v.2, 15, 16, 26.
Les Seigneur informe Moïse de ses intentions (monologue)
v.3, 4, 17, 18.
Moïse parle au peuple qui lui répond (mode dialogué)
v.13, 14, 11,12.
Les Égyptiens parlent entre eux (mode interrogatif et impératif)
v.5b, 25b.

Les temps des verbes sont divers (passé, présent, futur) liés au suspense ou à la rétention d’information (v.4). Le mode narratif n’est pas linéaire, mais il recoure à des analepses lorsque le Pharaon regrette le passé «qu’avons-nous fait ?» (v.5b) ou des prolepses lorsque le Seigneur anticipe son action «je renforcerai le cœur […] et je me glorifierai» (v.4). Le style aussi peut se faire ironique: «est-ce par manque de tombes en Égypte que tu nous a pris pour mourir dans le désert» (v.11) allusion à la profusion funéraire égyptienne.

Les qualificatifs employés pour désigner les personnages sont parfois équivalents, comme Pharaon et roi d’Égypte, et parfois répétitifs, «pharaon, roi d’Égypte». (v.8) ; ils sont aussi polysémiques; parfois le terme Égypte désigne le lieu géographique (v.11, 18) où l’armée «l’Égypte s’était mise en route » (v.10), parfois la nation égyptienne : «Laisse-nous et que nous servions l’Égypte » (v.1). Dans les différentes traductions (TOB, Jérusalem, Segond, Ska) le terme «fils d’Israël» est le plus usité pour désigner les «israélites», mais lorsqu’il est remplacé par le terme «Israël», il désigne la collectivité, c’est-à-dire la nation Israël elle-même, et non les individus. Exemple dans Ex.14, 29: «Mais les fils d’Israël étaient allés sur la (terre) sèche… » alors que le v.30 suivant dispose : «Et le Seigneur sauva ce jour-là Israël de la main d’Égypte et Israël vit l’Égypte morte sur le bord de la mer».

1.5. Temporalité du récit
Depuis la nuit de sortie d’Égypte, les fils d’Israël sont guidés par la colonne de nuée le jour et la colonne de feu la nuit, le récit recouvre donc quelques jours. Cette incertitude est liée à la méconnaissance du parcours emprunté et aux distances parcourues. Il est indiqué en Ex.12, 37 que plus de 600.000 israélites accompagnés  d’une foule et de troupeaux ont quitté l’Égypte. Même en faisant la part de l’exagération propre aux auteurs bibliques, qui parfois accordent plus d’importance à la symbolique des nombres qu’à leur exactitude, l’exode est certainement numériquement conséquent, ce qui impose des déplacements lents d’un ou plusieurs convois et un appareil logistique important. À partir du v.15 l’unité de temps et d’action du récit se resserre et se focalise sur une nuit et un matin (v.21-28); les phrases se font plus courtes et factuelles, parfois elliptiques: «il n’en resta pas un seul». Au plus fort de l’action, le temps narratif devient le temps de l’action.

1.6. Répétitions, incohérences et incongruités apparentes.
«.Moïse étendit la main sur la mer, et le Seigneur fit s’en aller la mer par un puissant vent d’Est toute la nuit, il la mit à sec et toutes les eaux se fendirent» (v.21). Des exégètes estiment qu’il serait incohérent qu’il soit prêté au Seigneur de faire agir toute la nuit un fort vent d’est pour mettre la mer à sec et que, par ailleurs, les eaux se fendissent soudainement, les deux actions figurant en continuité dans la même phrase du verset 21. [1]  Dans le v.21 ci-dessus, la partie soulignée de couleur verte résulterait d’une première version, la partie bleue non soulignée d’une seconde. Des indices littéraires conduisent des exégètes à estimer que le texte actuel de Ex.14 résulte de deux versions parallèles du passage de la mer[2]. La première serait issue d’un ou plusieurs récits datés du VIIème siècle qui est descriptive d’une «stratégie de combat» et l’autre, plus tardive, qualifiée de sacerdotale, daterait du VIème siècle juste avant ou après l’exil. Ainsi les incohérences apparentes qui émaillent le récit, résulteraient de l’insuffisante congruence stylistique de couches littéraires différentes. André Wenin souligne néanmoins que ces incohérences apparentes ou réelles ont été acceptées comme telles par le ou les rédacteurs finaux qui ont laissé le texte dans son état actuel[3]. Celui-ci a été voulu comme tel, et lu depuis dans les synagogues, les temples et les églises. André Wenin ajoute que c’est la signification de cette narration finale qu’il convient en conséquence d’explorer.

1.8. L’organisation stylistique du texte étudié
Ce texte comporte trois tableaux v.1-14, v.15- 25, v.26- 31, dont l’architecture est  similaire et les mots parfois identiques. Chaque partie est introduite (1) par un dialogue entre Dieu et Moïse (2) suivi des instructions du Seigneur (3) et de leur mise en exécution par Moïse. Il y a donc une grande similitude de composition des trois parties. Si dans chacune des deux premières parties le Seigneur expose son but : « ils me connaîtront comme Seigneur », la dernière atteste de son atteinte (v.25).


Tableau 1
Tableau 2
Tableau 3
Versets
v.1 –v.4
v.15-25
v.26-v.31
Demande de Dieu à Moïse
v.1. Et le Seigneur parla à Moïse».


v.2 «Parle aux Fils d’Israël»
v.15Et le Seigneur parla à Moïse».


v.15. «Parle aux fils d’Israël»
v.26 Et le Seigneur dit à Moïse»

Instructions
du Seigneur
v.2 «Qu’ils reviennent et qu’ils campent»
v.15. «Qu’ils se mettent en route»

v.16 «Lève ton bâton, étend ta main»



v.26 «Étend ta main»
Réponse d’action
v.4 «Et ils le firent ainsi»
v.21 «Et Moïse étendit sa main»
v.27 «Et Moïse étendit sa main»



Buts poursuivis (et atteints) par le Seigneur
v.4 «Et je renforcerai le cœur».

v.4 «je me glorifierai en pharaon».

v.4 «Ils me connaîtront comme Seigneur»
v.17 «je vais renforcer le cœur».


v.18«Je me glorifierai en pharaon»


v.4 «Ils me connaîtront comme Seigneur»








«v.25 Fuyons. car c’est le Seigneur qui combat pour eux contre l‘Égypte»




Constat
v.30 «Le Seigneur sauva Israël […] et Israël vit l’Égypte morte.
Résultat
v.31. « Israël vit […] craignit […] et crut ».


2. L’organisation narrative du récit

B1- Situation initiale (v.1-14)
Le Seigneur ordonne de positionner Israël devant la mer et souhaite durcir le cœur du pharaon pour montrer sa gloire (v.1-4). Pharaon se lance alors à la poursuite d’Israël, comme souhaité par Dieu (v.5-9). Les israélites craintifs restent sceptiques et reprochent à Moïse cette situation dangereuse et celui-ci tente de les rassurer (v.11-14) : «C’est le Seigneur qui combattra pour vous et vous vous resterez silencieux» (v.14).
 

B2-Nouement (v.15-20)
Dieu met en place un dispositif technique et tactique qui permettra la conduite de l’action. (Instructions de marche donnée aux israélites, renforcement du cœur des égyptiens, repositionnement de la colonne de nuée, illumination de la nuit).
 

B3-La double action transformatrice (v.21-28)
Étape 1 :
v.21 : «et Moïse étendit sa main sur la mer et le Seigneur fit s’en aller la mer […] et les eaux se fendirent».

Étape 2 :
v.27 : «et Moise étendit sa main sur la mer […] et le Seigneur culbuta les Égyptiens au milieu de la mer».


 


B4-Dénouement (v. 28, 29)
Le dénouement est l’épilogue de la traversée : «et le Seigneur sauva en ce jour là Israël de la main de l’Égypte et Israël vit l’Égypte morte sur le bord de la mer». (v.30)
 

B5-Situation finale (v. 30)
«Et Israël VIT le haut fait que le Seigneur avait accompli en l’Égypte et le peuple CRAIGNIT le Seigneur et ils CRURENT dans le Seigneur et dans Moïse son serviteur». (v.31).


2.1. Situation initiale (v.1-14.)

A) La logique mortifère de Pharaon
Malgré sa puissance, les contradictions de Pharaon traduisent ses craintes. En Ex 1, 9-10 il exprime son inquiétude de voir les israélites devenir trop nombreux et faire alliance avec des ennemis de l’Égypte et en profiter pour fuir. Pour lutter contre cette menace, il va accabler les israélites de travaux forcés pénibles et vexatoires, ce qui ne peut que renforcer leur souhait de départ et va à l’encontre du but recherché ; il va tenter de supprimer les nouveau-nés mâles israélites: action paradoxale qui raréfierait à terme la main-d’oeuvre dont l’Égypte a besoin, et dont Pharaon reconnaît la nécessité par ailleurs[4]. Les dix fléaux qui vont s’abattre sur l’Égypte le contraindront à gérer une nouvelle contradiction: il va demander aux israélites de quitter l’Égypte pour aller servir l’Éternel, alors qu’il refusait jusque là de le reconnaître [5]. Il demandera même à Moïse de le bénir[6]. Il aurait donc  dû abandonner toute poursuite des israélites puisqu’il s’était incliné devant la puissance du Dieu d’Israël. L’endurcissement de son cœur par le Seigneur consiste à  le laisser prisonnier de ses pulsions totalitaires qui sont mortifères.  Pharaon pourrait abandonner toute poursuite, le désert se chargeant de le venger; c’est ce qu’indique la première pensée que le Seigneur lui prête: «ils sont égarés dans le pays, le désert s’est refermé sur eux» (v.3). La liberté d’Israël lui pèse, mais sa mort aussi, car morts, les israélites ne seraient plus d’aucune utilité à l’Égypte. Le texte induit le narrataire à supposer que Pharaon est partagé entre toutes ces pulsions contradictoires : le désir de ne pas provoquer à nouveau la puissance du Dieu de Moïse, le désir de laisser mourir les israélites dans le désert, le désir récurrent de se venger, le désir de mettre à nouveau Israël à son service. Naturellement croît en lui son ressentiment, son souhait de vengeance et son envie d'asservir à nouveau ce peuple qui a forcé son consentement (Ex.11, 31-33).Il est l’archétype du totalitarisme et de la mort.

B) La pusillanimité des fils d’Israël
Face aux dangers qui les menacent, les fils d’Israël en situation de détresse regrettent l’esclavage : «il vaut mieux pour nous servir l’Égypte que nous mourir dans le désert » (v.12). Ce regret des israélites rencontre paradoxalement celui des égyptiens qui souhaitent ramener Israël à leur service «qu’avons-nous fait ? Oui, nous avons laissé Israël quitter notre service» (v.5). Mais le Seigneur souhaite également que le peuple d’Israël soit à son service exclusif : «  Quand tu feras sortir le peuple d’Égypte, vous servirez Dieu sur cette montagne » (Ex 3, 12) et «laisse partir mon peuple, qu’il me serve dans le désert » (Ex. 7,16).
Dieu et Pharaon désirent chacun voir les israélites les servir dans un conflit de légitimité.
Les israélites eux, pensent n’avoir le choix qu’entre une noyade dans la mer rouge, une lente agonie dans le désert ou une mise en pièces par les troupes égyptiennes qui sont à proximité. Entre ces maux, ils préfèrent choisir le moindre qui est la captivité en Égypte. Comme ils le rappellent à Moïse, qu’ils jugent responsable de cette aventure risquée, ils n’ont pas quitté l’Égypte avec enthousiasme : «n’est-ce pas ceci la parole que nous te parlions en Égypte en disant: laisse-nous et que nous servions l’Égypte » (v.12). Moïse leur enjoint de faire confiance au Seigneur qui combattra Pharaon, sans qu’ils aient à se battre : «c’est le Seigneur qui combattra pour vous et vous vous resterez silencieux»
(v.14).

C) La stratégie déployée par le Seigneur
Avec l’aide de Moïse, le Seigneur utilise ces différents atermoiements des protagonistes  pour mette en place une démarche afin d’assurer la victoire des fils d’Israël et l’écrasement de l’Égypte.

          Les Israelites sont encore prisonniers de leur passé et c’est d’eux-mêmes que le Seigneur devra les délivrer. En supprimant définitivement Pharaon et ses armées le Seigneur coupera tous les ponts avec le passé  et rendra tout retour impossible, fut-il souhaité; il les délivrera de leur servitude psychologique. Dieu est d’abord le Dieu de la liberté, celui qui libère les hommes de l’esclavage, parfois même contre leur souhait. Dieu veut rompre définitivement le lien mortifère qui unit les Israélites et les égyptiens, car les deux parties s’accommodent d’une histoire commune qu’elles sont prêtent à revivre pour des motifs différents.

2.2. Le Nouement (Versets 15-20)
En v.15-20 sont mobilisés tous les préparatifs qui vont rendre possible le déclenchement de l’action attendue.
Dieu confirme à Moïse son souhait de voir Israël se regrouper au bord de la mer et lui enjoint de lever son bâton pour que les flots s’ouvrent et que les fils d’Israël entrent dans les flots en marchant sur la «terre sèche». Le texte laisse supposer qu’à leur suite, les égyptiens le feront également (v.16). Le sous-entendu est évident: puisque Dieu se glorifiera à cette occasion «en toute l’armée du Pharaon» (v.18), même si le texte reste encore elliptique, le piège imaginé commence à se dévoiler.
L’injonction « lève ton bâton et étends ta main » (v.16) est une tournure que l’on retrouve dans plusieurs passages antérieurs de l’Exode lors des fléaux infligés à  l’Egypte (l’eau changée en sang (Ex.7, 14-25), l’épisode des grenouilles (Ex.8,18), l’invasion de moustiques (Ex.8, 13 ; 12-15) ou ultérieurement lors de la marche dans le désert (l’eau sortant du rocher (Ex.17, 5).

Pour la troisième fois dans la péricope, et de manière répétitive dans les v. 17, 18 Dieu manifeste l’intention de se «glorifier» auprès de Pharaon et son armée et désire renforcer encore la détermination des égyptiens à poursuivre les fils d’Israël. Cette insistance marque la volonté du Seigneur de frapper les esprits de manière définitive.

«Le messager de Dieu qui allait devant le camp d’Israël, et il alla  derrière eux » (v19) est un élément mystérieux du texte. Car ce messager n’apparaît que dans ce verset d’Ex 14.  Ce messager peut être une métaphore de la colonne de nuée qui est mise en scène dans le même verset. Mais il peut également figurer l’Ange de l’Éternel qui apparaît à plusieurs reprises dans l’A.T, à la fois messager de Dieu et ange pourvu de prérogatives divines tel qu’il apparaît  dans la suite de l’Exode (Ex. 23, 20 ; 33, 2).

La colonne de nuée se déplace de l’avant garde des fugitifs d’où elle guidait Israël, en arrière d’eux pour séparer les deux camps, éclairant l’un la nuit et obscurcissant la vision de l’autre et les empêchant de se rejoindre. En guidant Israël dans les flots, il est imaginable, même si le texte ne l’évoque pas, que compte tenu du nombre d’israélites, et des nombreuses troupes égyptiennes qui les suivent, cette marche et cette poursuite entre les murailles d’eau durent plusieurs heures, l’action se situant vraisemblablement entre l’obscurité et « le tournant du matin » (v.27), sans doute à l’aube, le texte restant ambigu sur ce point.

2.3. L’action transformatrice (v. 21-28)
Cette séquence est le résultat de la préparation effectuée par Dieu et Moïse. À deux reprises, par un geste d’ouverture (v.21) et de fermeture de la mer (v.28),  Moïse avec l’assistance active et déterminante de Dieu va ouvrir une brèche dans les flots puis les refermer. Dans ce couloir de « terre sèche » vont s’avancer successivement Moïse, guidant Israël, suivi de la colonne de nuée, qui protège l’arrière-garde d’Israël, puis Pharaon qui précède ses innombrables chars et cavaliers.

Actions conjuguées de Moïse et du Seigneur


Actions directes de Moïse
Actions  du Seigneur
Résultats
Phase 1
(v.21)
« et Moïse étendit sa main sur la mer... »
« ...et le Seigneur fit s’en aller la mer par un puissant vent d’est... »
«… Il mit la mer en terre (sèche) et les eaux se fendirent. »
Phase 2
(v.26)


« Et Moïse étendit sa main sur la mer et la mer revint ...»
« Et le Seigneur culbuta les Égyptiens... »
« Et les eaux recouvrirent chars et cavaliers […] il n’en resta pas un seul.»


A) Première phase (v.21-25) Premier geste initiateur de Moise

« Moïse étendit sa main.. » (v.21). Cette action solennelle n’est pas sans rappeler la Genèse lorsque Dieu sépare la terre et les eaux (Gn.1, 9-10). Elle confère à Moïse, par délégation divine, un pouvoir créateur. Symboliquement, dans la genèse, Dieu met en ordre les éléments naturels et ordonne le chaos originel. En revanche, c’est bien le retour au chaos, à l’indistinction qui attend les égyptiens dans une étendue maritime informe et mortelle dans laquelle plus rien ne se distingue.

A1- Ouverture des flots
L’action  de Moïse est complétée par l’action du Seigneur qui embourbe les chars des soldats,  fait souffler un puissant vent d’Est puis culbute les égyptiens dans les flots. L’ouverture des flots par Moïse n’aurait donc pas suffit à assurer le succès de l’opération qui a résulté d’une étroite coopération d’action entre le Seigneur et lui. Celle-ci n’est pas unique: dans les chapitres consacrés aux plaies d’Égypte figure un tableau analogue : Dieu demande à Moïse d’étendre sa main pour faire envahir le pays par les sauterelles (Ex 7.11). Moïse obtempère, levant son bâton, mais c’est l’Éternel qui fait souffler un vent d’orient amenant les sauterelles.



A2-La déroute des Égyptiens

C’est une déroute physique du camp des Égyptiens qui est provoquée par le Seigneur
(V. 24) qui « dévie les roues de leurs chars » (v.25) qui s’embourbèrent. Mais c’est également une déroute morale : « Fuyons de devant Israël, car c’est le Seigneur qui combat pour eux contre l’Égypte» (v.25). Cette expression de dépit est la reconnaissance exprimée par les Égyptiens de la Gloire du Seigneur que celui-ci escomptait depuis la mise en place du piège refermé sur eux.

B) deuxième phase 2 (v.26-28) Second geste initiateur de Moïse

Celui-ci (v.26) est également couplé à l’action du Seigneur qui après avoir dévié les chars, culbuté les Égyptiens les fait recouvrir par les flots. Les eaux viennent par l’arrière des égyptiens leur coupant toute retraite possible: « (les eaux) recouvrirent […] toute l’armée de Pharaon qui était venue derrière eux » (v.28). En l’absence de précision du texte il est imaginable de penser que les eaux qui ont recouvert les Égyptiens n’ont pas atteint l’arrière-garde israélienne protégée par la colonne de nuée ou /et qu’Israël avait déjà atteint la terre ferme. « Il n’en resta pas un seul » (v.28): la victoire totale sur Pharaon et ses troupes est acquise.

2.4. Dénouement (v.29, 30)
Cette fin tragique des égyptiens a pour conséquence le salut des israélites qui ont continué à cheminer entre deux murailles d’eau avant d’atteindre la terre ferme.
« Et le seigneur sauva ce jour-là Israël de la main de l’Égypte et Israël vit l’Égypte morte sur le bord de la mer » (v.30).
La promesse faite par Moïse au peuple se trouve exécutée comme le montre la reprise des termes témoignant de la promesse initiale (v.13) qui sont répétés en v.30 et v.31 pour confirmer sa réalisation :

Concordance des versets et des verbes d’action (craindre, voir, sauver)

Verset 13: la promesse

V.30 : la réalisation
V. 31 la réalisation
...Voyez le salut du Seigneur…

...Le Seigneur sauva ce jour là…

…Car vous qui voyez les Égyptiens aujourd’hui vous ne les verrez plus jamais…

... Et Israël vit l’Égypte morte sur le bord de la mer…
... Et Israël vit le haut fait…
Moise dit au peuple ne craignez pas


Le peuple craignit le Seigneur



2.5. Situation finale (v.31)
La crainte d’Israël s’exprime tout au long du chapitre, crainte que Moïse tente de lever auprès du peuple: « ne craignez pas, tenez vous prêts et voyez le salut du Seigneur qu’il accomplira pour vous aujourd’hui » (v.13). Cette prédiction réalisée, la crainte des israélites demeure néanmoins (v.31) mais elle va changer de nature. Ce n’est plus l’Égypte qui l’inspire, ni la mer vaincue avec succès, mais c’est la crainte qu’inspire le « Tout Autre » qui, dans cette théophanie, a montré sa gloire et sa puissance infinie. C’est ce que le sociologue des religions René Otto nomme le « mysterium tremendum », c’est-à-dire l’effroi mystique qui saisit l’individu face au mystère de l’inaccessibilité absolue de Dieu, crainte qui ne peut être  chassée, estime-t-il, que par la piété qui permet une tension positive et confiante vers Dieu. Et c’est bien le cas ici, comme le précise le v.31: « et ils crurent dans le Seigneur et dans Moïse son serviteur ».

3. Exégèse comparative d’Exode 14 avec Esaïe 43 (16-21).
Exode 14 fonctionne comme la matrice de plusieurs thèmes biblique fondateurs. Le thème du mal et de la mort représentés par le pharaon et l’Égypte, celui  du désert qui est à la fois source de mort et de vie, celui de l’eau  qui peut aussi de manière ambivalente engloutir les ennemis d’Israël et permettre  la renaissance à une vie nouvelle. Couronnant ses différents thèmes, figure  celui de l’alliance de Dieu fidèle à ses promesses envers  son peuple souvent infidèle et ingrat.
 Le livre de Jérémie, du Vème siècle environ, qui appartient à la lignée des grand textes prophétiques de la bible hébraïque comme Ezéchiel, Jérémie  ou Daniel.

 
Limites de la péricope

Cette périscope prend place dans ce discours général qui développe l’idée du salut pour le peuple d’Israël. Du verset 8 à 13,  Jéhovah va se proclamer l’auteur de ce salut dont Israël doit être le témoin. Les versets 6 à 21 qui nous intéressent très directement ici, proclament la sortie de Babylone à l’équivalent de ce que fut la sortie d’Égypte tel que Exode 14 et 15 les relatent. Les versets 22  à 28, qui bordent cette péricope, donnent la cause de ce salut : la grâce de Dieu  qui pardonna une fois de plus le pêché de son peuple.

Commentaire du texte

16. Ainsi parle Yahvé, celui qui traça dans la mer un chemin,
un sentier dans les eaux déchaînées,
17 qui fit sortir char et cheval, armée et troupe d'élite ensemble; ils se sont couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, comme une mèche ils se sont consumés.18 Ne vous souvenez plus des événements anciens, ne pensez plus aux choses passées.
Ces versets rappellent directement la sortie d’Égypte et la destruction de l’armée du pharaon. Ils constituent un rappel de Esaïe 10.26 « Et l'Éternel des armées lèvera contre lui le fouet, comme il frappa Madian au rocher d'Oreb; son bâton est sur la mer, et il le lève comme autrefois en Égypte!» et également Esaïe 11.15 « L'Éternel frappera d'interdit la langue de la mer d'Égypte, et il lèvera sa main contre le fleuve, dans l'ardeur de son souffle, et il le partagera en sept ruisseaux, et il fera qu'on y marche en sandales ».
18 Ne vous souvenez plus des événements anciens, ne pensez plus aux choses passées 19 voici que je vais faire une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas ?
Oui, je vais mettre dans le désert un chemin, et dans la steppe, des fleuves.
20 Les bêtes sauvages m'honoreront, les chacals et les autruches, car j'ai mis dans le désert de l'eau et des fleuves dans la steppe, pour abreuver mon peuple, mon élu.

Dieu demande a son peuple de ne pas « revenir en arrière » sur le passé (ce qui est un thème récurrent depuis l’Exode: la volonté de retrouver le passé, de revenir en Égypte, retrouver une forme de sécurité, fut ce au prix de l’esclavage,  préoccupaient les enfants d’Israël. Moïse et Yahvé incessamment les pressaient d’aller de l’avant, de prendre le risque de l’aventure en faisant confiance à la promesse de Dieu. Ici les mêmes réticences se manifestent peut-être, d’autant que beaucoup d’exilés établis a Babylone y vivaient confortablement et ne voyaient sans doute pas l’intérêt de repartir de manière hasardeuse affronter le désert vers une patrie oubliée. Mais le peuple devrait pressentir la possibilité de le faire et aller  de l’avant  puisqu’il avait déjà vécu cette prise de risque . Plusieurs prédictions du retour de Babylone présentaient celui-ci comme un nouvel exode. Mais Dieu assure que cette aventure ne se fera pas à l’identique:Il assure que le désert sera praticable, l’eau coulera en abondance pour abreuver les assoiffés et toute la  nature y compris les bêtes sauvages  s’associeront à ce nouveau prodige. Cette promesse rappelle la description faite  en Esaïe 35.7- 8 « le mirage se change en un lac et la terre altérée en sources d'eau ; le repaire où gîtaient les chacals devient un parc de roseaux et de joncs. 8 Et il y a là une route, une voie, qu'on appellera la voie sainte ; aucun impur n'y passera ; elle n'est que pour eux seuls ; quiconque suivra ce chemin, les simples mêmes, ne s'égareront pas ».

.21 Le peuple que je me suis formé publiera mes louanges.

Enfin, Yahvé souhaite que son peuple élu « mon peuple, mon élu » le reconnaisse et chante ses louanges comme  il le fit en Ex.15 après le passage de la mer rouge.

Modèle paradigmatique de Exode 14
Les termes « mer, eaux déchaînées, désert, steppes, bêtes sauvages, chacals » qui sont des termes négatifs traduisant  les risques et le danger vécus dans le contexte  de l’Exode sont ici, par une  nouvelle promesse divine, contrebalancés par ceux positifs de «sentier, chemin, eau, fleuves, abreuver ». Dans Ex. 14 le danger que représentait, « la mer » est devenue l’instrument de liberté grâce au chemin que Dieu y a tracé, l’ennemi mortel qu’était « pharaon »  est anéanti. Sur le même modèle paradigmatique, dans Esaïe 43, les dangers et les risques se transforment en opportunités : le risque du «  désert » est supprimé par un  chemin praticable, la soif est comblée par l’eau qui deviendra « fleuve »  abreuvant hommes et nature ; les ennemis mortels que sont « bêtes fauves et chacals » deviennent instrument de louange. Dans les deux cas le pouvoir et la volonté de Yahvé est de préserver son peuple de la mort et de le guider vers la liberté.
CONCLUSION
Le souvenir du passage de la mer rouge a soutenu la foi d’Israël et le rappel en est fait à de multiples reprises dans les textes de l’ancien et du nouveau testament. Soit un rappel littéral qui a pour but de faire mémoire concrètement de l’événement, soit un rappel thématique qui exploite des éléments structurants que sont les thèmes du passage de l’eau, du désert, de l’alliance et surtout de la capacité de Dieu de sauver de la mort et donner la vie comme dans Ézéchiel 37 qui redonne vie aux os.
Dans l’Exode, la marche au désert va s’achever par un autre passage dans l’eau, celui du Jourdain. C’est en traversant le même Jourdain que Jonathan fuyant Bacchides sera sauvé (1Maccabéés 9, v.48). C’est aussi dans le Jourdain que Jésus sera baptisé  par Jean Baptiste.
Le baptême chrétien fait mémoire à travers la mort et la renaissance du baptisé à cette symbolique de l’eau et du passage qui a marqué la naissance d’Israël à une vie nouvelle.

……………………
BIBLIOGRAPHIE
ecouter la bible 2, Les livres du désert, Desclee de Brouwer et Droguet –Ardant, Paris, 1978.

LA  BIBLE, avec notes d’études archéologiques et historiques, Segond 21, deuxième édition 2016, ed. Société Biblique de Genève, Romanel sur Lausanne,  dif. La maison de la bible,  p104, 105.

quesnel michel, gruson philippe, La Bible et sa culture, Ancien Testament, Desclée de Brouwer, Paris, 2000.

ska jean louis, le passage de la mer, Etude de la construction du style et de la symbolique d’Ex.14, 1-31, col. Analecta Biblica 109, Roma, ed. Pontificio instituto biblico, 1997.

ska jean louis, Introduction à la lecture du pentateuque, clés pour l’interprétation des cinq premiers livres de la Bible, ed. Lessius, Bruxelles, 2000.p.101-109.

wenin André , l’Homme biblique, Lectures dans le premier testament, , 2° édition revue et augmentée, coll. « Théologies bibliques», Paris, Éditions du Cerf 2004.p.83-107.


[1] GIBERT Pierre , Bible, mythes et récits de commencement, , Paris Seuil, 1986, p.174-176, et WENIN André, Le passage de la mer (Ex. 14) Regards pluriels sur un récit fondateur, «Horizons de la foi» n°54, Bruxelles 1993, p.6-7.11-12.17.
[2] SKA Jean Louis, Introduction à la lecture du pentateuque, clés pour l’interprétation des cinq premiers livres de la Bible, Bruxelles Editions Lessius, , 2000.p.101-109.
[3] WENIN André, l’Homme biblique, Lectures dans le premier testament, 2° édition,Paris Éditions du Cerf,
 , 2004.p.83-107.
[4] « Ce peuple est maintenant nombreux dans le pays, et vous lui feriez interrompre ses corvées ! »(Ex 5,5).
[5] « Qui est l’Éternel, pour que j’obéisse à ses ordres en laissant partir Israël. Je ne connais pas l’Éternel et je ne laisserai pas partir Israël » (Ex.5, 2).
[6] «Levez vous, sortez du milieu de mon peuple, vous et les israélites. Allez servir l’Éternel comme vous l’avez dit [...] et bénissez moi » (Ex.12, 32).