COMMENTAIRES SUR EXODE 14
LA
BIBLE RELIT LES TRADITIONS
INTRODUCTION
Dans le livre de l’Exode,
ce chapitre prend place dans la seconde des trois grandes périodes qui se succèdent:
Israël en Égypte, la marche dans le désert, le séjour d’Israël au Sinaï.
Ex.14 constitue un élément
clé de la libération d’Israël et développe des thèmes qui ont une valeur
paradigmatique pour de nombreux textes de l’ancien comme du Nouveau Testament
qui en opèrent une relecture.
L’exégèse sera
conduite du point de vue de l’analyse littéraire et de l’approche
narrative d’Ex14 et seraeffectuée une relecture comparative d’Esaïe 43 (16-21).
1. ANALYSE LITTÉRAIRE DE Ex.14
1.1 Limites
de la péricope
Elle s’insère après
Ex.12 et Ex.13 : Israël sort d’Égypte
chassée par le pharaon après les calamités qui se sont abattues sur son pays en
Ex.12. Puis Dieu conduit le peuple d’Israël par le chemin du désert vers la mer
des joncs pour éviter le pays philistin en guerre en Ex.13. Ex.15, 22-27
va décrire le début de la longue marche dans le désert après le franchissement de
la mer. Le début du verset suivant, Ex.15, 1-22, constitue, de fait, un
prolongement lyrique de Ex.14 nommé « le cantique de Moïse et Myriam ».
Cet hymne de louange est chanté et dansé pour remercier le Seigneur du prodige
accompli. Ex.14 forme une unité narrative complète, à l’exception de sa
conclusion lyrique évoquée ci-dessus. Il aurait donc été imaginable qu’à Ex.14,
1-31 soit rattaché l’hymne de célébration Ex.15, 1-21, ou que 15,1-21 constitue
un chapitre complet, ou que la partie 15, 22-27 de nature différente de cet
hymne (arrivée des israélites à Elim) soit rattachée à la narration suivante Ex.16
qui en constitue la suite (départ d’Elim).
Mais le découpage
actuel, s’il est discutable, permet de tracer une délimitation claire entre ce
qui relève de l’action, qui forme une unité cohérente, Ex. 14, et ce qui relève
de la célébration de cette action ,Ex. 15,1-21.
1.2. Introduction de Ex.14
Dans une adresse à
Moïse, le Seigneur (v.1-v.4) énonce brièvement le cadre de l’intrigue. Il
demande à Moïse de faire disposer les fils d’Israël face à la mer. Il affirme sa
volonté de « renforcer
le cœur du Pharaon » pour poursuivre Israël qui se trouvera, de
fait, sans défense et sans possibilité de repli. De cette apparente
contradiction, il compte tirer sa Gloire. A ce stade du récit, la tension narrative a pour effet
que le lecteur pressent qu’un piège se forme sans qu’il en connaisse encore la
nature exacte.
1.3. Découpage de la péricope (temps, lieux,
acteurs) et procédés stylistiques
Les protagonistes
Les protagonistes
principaux sont Yahvé, Moïse, Pharaon, les fils d’Israël, les soldats
égyptiens. Le Seigneur est le principal personnage du récit. Il joue un rôle
multiple comme concepteur de l’action, interlocuteur de Moïse, guide d’Israël, sous
la forme de colonne de nuée et de feu, et influenceur de Pharaon. Moïse est le
pivot du récit : intermédiaire actif privilégié, il assure la jonction entre le Seigneur et des israélites. Il
exécute les instructions divines, justifie l’action du Seigneur et exerce des
prérogatives divines octroyées. Le Pharaon, symbole de l’ iniquité, est un
personnage victime de ses propres pulsions: il est la charnière sur laquelle le
Seigneur va agir. Les fils d’Israël sont les bénéficiaires indécis et ingrats pour
lesquels l’action est organisée; ils constituent la principale préoccupation de
Dieu et sont placés sous l’autorité de Moïse qu’ils récusent devant les difficultés. Ils sont partagés
entre regrets et espoirs. Les égyptiens sont figurants de second plan.
1. 4.Les dialogues
Plusieurs procédés sont
utilisés pour captiver le narrataire.
Le mode narratif est
mixte: le récit est produit par un conteur extradiégétique qui montre les
situations (showing) dans lesquelles une grande place est faite aux dialogues
intradiégétiques des protagonistes qui occupent près de la moitié du récit :
Le
Seigneur donne ses instructions à Moïse (mode impératif)
|
v.2,
15, 16, 26.
|
Les
Seigneur informe Moïse de ses intentions (monologue)
|
v.3,
4, 17, 18.
|
Moïse
parle au peuple qui lui répond (mode dialogué)
|
v.13,
14, 11,12.
|
Les
Égyptiens parlent entre eux (mode interrogatif et impératif)
|
v.5b,
25b.
|
Les temps des verbes
sont divers (passé, présent, futur) liés au suspense ou à la rétention
d’information (v.4). Le mode narratif n’est pas linéaire, mais il recoure à des
analepses lorsque le Pharaon regrette le passé « qu’avons-nous fait ? » (v.5b) ou des prolepses lorsque le Seigneur
anticipe son action « je
renforcerai le cœur […] et je me glorifierai » (v.4).
Le style aussi peut se faire ironique: « est-ce
par manque de tombes en Égypte que tu nous a pris pour mourir dans le désert » (v.11) allusion à la profusion funéraire égyptienne.
Les qualificatifs
employés pour désigner les personnages sont parfois équivalents, comme Pharaon
et roi d’Égypte, et parfois répétitifs, « pharaon,
roi d’Égypte ». (v.8) ; ils sont aussi polysémiques; parfois
le terme Égypte désigne le lieu géographique (v.11, 18) où l’armée « l’Égypte s’était mise en route » (v.10), parfois la nation égyptienne :
« Laisse-nous
et que nous servions l’Égypte » (v.1).
Dans les différentes traductions (TOB, Jérusalem, Segond, Ska) le terme « fils
d’Israël » est le plus usité pour désigner les « israélites »,
mais lorsqu’il est remplacé par le terme « Israël », il désigne la collectivité, c’est-à-dire la
nation Israël elle-même, et non les individus. Exemple dans Ex.14, 29: « Mais
les fils d’Israël étaient allés sur la (terre) sèche… » alors que le v.30 suivant
dispose : « Et
le Seigneur sauva ce jour-là Israël de la main d’Égypte et Israël vit l’Égypte
morte sur le bord de la mer ».
1.5. Temporalité du récit
Depuis la nuit de sortie
d’Égypte, les fils d’Israël sont guidés par la colonne de nuée le jour et la
colonne de feu la nuit, le récit recouvre donc quelques jours. Cette
incertitude est liée à la méconnaissance du parcours emprunté et aux distances parcourues.
Il est indiqué en Ex.12, 37 que plus de 600.000 israélites accompagnés d’une foule et de troupeaux ont quitté l’Égypte.
Même en faisant la part de l’exagération propre aux auteurs bibliques, qui
parfois accordent plus d’importance à la symbolique des nombres qu’à leur
exactitude, l’exode est certainement numériquement conséquent, ce qui impose des
déplacements lents d’un ou plusieurs convois et un appareil logistique
important. À partir du v.15 l’unité de temps et d’action du récit se resserre et
se focalise sur une nuit et un matin (v.21-28); les phrases se font plus
courtes et factuelles, parfois elliptiques: « il
n’en resta pas un seul ». Au plus fort de l’action, le temps narratif devient le temps
de l’action.
1.6. Répétitions, incohérences et
incongruités apparentes.
« .Moïse étendit la main sur la mer, et le Seigneur fit s’en aller la mer par un puissant vent d’Est toute la nuit, il la mit à sec et toutes les eaux se fendirent» (v.21). Des exégètes estiment qu’il serait
incohérent qu’il soit prêté au Seigneur de faire agir toute la nuit un fort
vent d’est pour mettre la mer à sec et que, par ailleurs, les eaux se fendissent
soudainement, les deux actions figurant en continuité dans la même phrase du
verset 21. [1]
Dans le v.21 ci-dessus, la partie soulignée
de couleur verte résulterait d’une première version, la partie bleue non
soulignée d’une seconde. Des indices littéraires conduisent des exégètes à
estimer que le texte actuel de Ex.14 résulte de deux versions parallèles du
passage de la mer[2]. La
première serait issue d’un ou plusieurs récits datés du VIIème siècle qui est
descriptive d’une « stratégie de combat »
et l’autre, plus tardive, qualifiée de sacerdotale, daterait du VIème siècle
juste avant ou après l’exil. Ainsi les incohérences apparentes qui émaillent le
récit, résulteraient de l’insuffisante congruence stylistique de couches
littéraires différentes. André Wenin souligne néanmoins que ces incohérences
apparentes ou réelles ont été acceptées comme telles par le ou les rédacteurs
finaux qui ont laissé le texte dans son état actuel[3].
Celui-ci a été voulu comme tel, et lu depuis dans les synagogues, les temples
et les églises. André Wenin ajoute que c’est la signification de cette
narration finale qu’il convient en conséquence d’explorer.
1.8. L’organisation stylistique du texte
étudié
Ce texte comporte trois
tableaux v.1-14, v.15- 25, v.26- 31, dont l’architecture est similaire et les mots parfois identiques. Chaque
partie est introduite (1) par un dialogue entre Dieu et Moïse (2) suivi des instructions
du Seigneur (3) et de leur mise en exécution par Moïse. Il y a donc une grande
similitude de composition des trois parties. Si dans chacune des deux premières
parties le Seigneur expose son but : « ils me connaîtront comme
Seigneur », la dernière atteste de son atteinte (v.25).
Tableau 1
|
Tableau 2
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Tableau 3
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Versets
|
v.1 –v.4
|
v.15-25
|
v.26-v.31
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Demande
de Dieu à Moïse
|
v.1. Et le Seigneur parla à Moïse ».
v.2 « Parle aux Fils d’Israël »
|
v.15Et le Seigneur parla à Moïse ».
v.15. « Parle aux fils d’Israël »
|
v.26 Et le Seigneur dit à Moïse »
|
Instructions
du Seigneur
|
v.2 « Qu’ils reviennent et qu’ils
campent »
|
v.15. « Qu’ils se mettent en route »
v.16 « Lève ton bâton, étend ta main »
|
v.26 « Étend ta main »
|
Réponse
d’action
|
v.4 « Et
ils le firent ainsi »
|
v.21 « Et
Moïse étendit sa main »
|
v.27 « Et
Moïse étendit sa main »
|
Buts
poursuivis (et atteints) par le Seigneur
|
v.4 « Et je renforcerai le cœur ».
v.4 « je me glorifierai en pharaon ».
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v.17 « je vais renforcer le cœur ».
v.18« Je me glorifierai en pharaon »
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Constat
|
v.30 « Le
Seigneur sauva Israël […] et Israël vit l’Égypte morte.
|
Résultat
|
v.31. « Israël vit […]
craignit […] et crut ».
|
2. L’organisation narrative du récit
B1- Situation initiale (v.1-14)
Le Seigneur ordonne de positionner
Israël devant la mer et souhaite durcir le cœur du pharaon pour montrer sa
gloire (v.1-4). Pharaon se lance alors à la poursuite d’Israël, comme souhaité
par Dieu (v.5-9). Les israélites craintifs restent sceptiques et reprochent à
Moïse cette situation dangereuse et celui-ci tente de les rassurer (v.11-14) :
« C’est le Seigneur qui combattra pour vous et
vous vous resterez silencieux» (v.14).

B2-Nouement (v.15-20)
Dieu met en place un
dispositif technique et tactique qui permettra la conduite de l’action. (Instructions
de marche donnée aux israélites, renforcement du cœur des égyptiens, repositionnement
de la colonne de nuée, illumination de la nuit).

B3-La double action transformatrice
(v.21-28)
Étape
1 :
v.21 : « et Moïse étendit sa main sur la mer et le Seigneur
fit s’en aller la mer […] et les eaux se fendirent ».
Étape
2 :
v.27 : « et Moise étendit sa main sur la mer […] et le
Seigneur culbuta les Égyptiens au milieu de la mer ».
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B4-Dénouement (v. 28, 29)
Le dénouement est l’épilogue
de la traversée : « et
le Seigneur sauva en ce jour là Israël de la main de l’Égypte et Israël vit l’Égypte
morte sur le bord de la mer ». (v.30)

B5-Situation finale (v. 30)
« Et
Israël VIT le haut fait que le Seigneur
avait accompli en l’Égypte et le peuple CRAIGNIT
le Seigneur et ils CRURENT dans le
Seigneur et dans Moïse son serviteur ». (v.31).
2.1. Situation initiale (v.1-14.)
A) La logique mortifère de Pharaon
Malgré
sa puissance, les contradictions de Pharaon traduisent ses craintes. En Ex
1, 9-10 il exprime son inquiétude de voir les israélites devenir trop
nombreux et faire alliance avec des ennemis de l’Égypte et en profiter pour
fuir. Pour lutter contre cette menace, il va accabler les israélites de travaux
forcés pénibles et vexatoires, ce qui ne peut que renforcer leur souhait de départ
et va à l’encontre du but recherché ; il va tenter de supprimer les nouveau-nés
mâles israélites: action paradoxale qui raréfierait à terme la main-d’oeuvre
dont l’Égypte a besoin, et dont Pharaon reconnaît la nécessité par ailleurs[4].
Les dix fléaux qui vont s’abattre sur l’Égypte le contraindront à gérer une
nouvelle contradiction: il va demander aux israélites de quitter l’Égypte pour
aller servir l’Éternel, alors qu’il refusait jusque là de le reconnaître [5].
Il demandera même à Moïse de le bénir[6].
Il aurait donc dû abandonner toute poursuite
des israélites puisqu’il s’était incliné devant la puissance du Dieu d’Israël. L’endurcissement
de son cœur par le Seigneur consiste à
le laisser prisonnier de ses pulsions totalitaires qui sont
mortifères. Pharaon pourrait abandonner
toute poursuite, le désert se chargeant de le venger; c’est ce qu’indique la
première pensée que le Seigneur lui prête: « ils
sont égarés dans le pays, le désert s’est refermé sur eux » (v.3). La liberté d’Israël lui pèse, mais sa
mort aussi, car morts, les israélites ne seraient plus d’aucune utilité à l’Égypte.
Le texte induit le narrataire à supposer que Pharaon est partagé entre toutes
ces pulsions contradictoires : le désir de ne pas provoquer à nouveau la
puissance du Dieu de Moïse, le désir de laisser mourir les israélites dans le
désert, le désir récurrent de se venger, le désir de mettre à nouveau Israël à
son service. Naturellement croît en lui son ressentiment, son souhait de
vengeance et son envie d'asservir à nouveau ce peuple qui a forcé son
consentement (Ex.11, 31-33).Il est l’archétype du totalitarisme et de la mort.
B) La pusillanimité des fils d’Israël
Face aux dangers qui
les menacent, les fils d’Israël en situation de détresse regrettent l’esclavage :
« il
vaut mieux pour nous servir l’Égypte que nous mourir dans le désert » (v.12).
Ce regret des israélites
rencontre paradoxalement celui des égyptiens qui souhaitent ramener Israël à
leur service « qu’avons-nous
fait ? Oui, nous avons laissé Israël quitter notre service » (v.5). Mais le Seigneur souhaite également
que le peuple d’Israël soit à son service exclusif : « Quand tu feras sortir le peuple d’Égypte,
vous servirez Dieu sur cette montagne » (Ex 3, 12) et « laisse partir mon peuple, qu’il
me serve dans le désert » (Ex. 7,16).
Dieu et Pharaon
désirent chacun voir les israélites les servir dans un conflit de légitimité.
Les israélites eux, pensent
n’avoir le choix qu’entre une noyade dans la mer rouge, une lente agonie dans
le désert ou une mise en pièces par les troupes égyptiennes qui sont à proximité.
Entre ces maux, ils préfèrent choisir le moindre qui est la captivité en
Égypte. Comme ils le rappellent à Moïse, qu’ils jugent responsable de cette
aventure risquée, ils n’ont pas quitté l’Égypte avec enthousiasme : « n’est-ce
pas ceci la parole que nous te parlions en Égypte en disant: laisse-nous et que
nous servions l’Égypte » (v.12).
Moïse leur enjoint de faire confiance au Seigneur qui combattra Pharaon, sans qu’ils
aient à se battre : « c’est
le Seigneur qui combattra pour vous et vous vous resterez silencieux »
(v.14).
C) La stratégie déployée par le Seigneur
Avec
l’aide de Moïse, le Seigneur utilise ces différents atermoiements des
protagonistes pour mette en place une
démarche afin d’assurer la victoire des fils d’Israël et l’écrasement de l’Égypte.
Les Israelites sont encore
prisonniers de leur passé et c’est d’eux-mêmes que le Seigneur devra les délivrer.
En supprimant définitivement Pharaon et ses armées le Seigneur coupera tous les
ponts avec le passé et rendra tout retour impossible, fut-il souhaité; il
les délivrera de leur servitude psychologique. Dieu est d’abord le Dieu de la
liberté, celui qui libère les hommes de l’esclavage, parfois même contre leur
souhait. Dieu veut rompre définitivement le lien mortifère qui unit les Israélites
et les égyptiens, car les deux parties s’accommodent d’une histoire commune
qu’elles sont prêtent à revivre pour des motifs différents.
2.2. Le Nouement (Versets 15-20)
En v.15-20 sont
mobilisés tous les préparatifs qui vont rendre possible le déclenchement de
l’action attendue.
Dieu confirme à Moïse
son souhait de voir Israël se regrouper au bord de la mer et lui enjoint de
lever son bâton pour que les flots s’ouvrent et que les fils d’Israël entrent
dans les flots en marchant sur la « terre
sèche ». Le texte laisse supposer qu’à leur suite,
les égyptiens le feront également (v.16). Le sous-entendu est évident: puisque
Dieu se glorifiera à cette occasion « en
toute l’armée du Pharaon » (v.18), même si le texte reste encore
elliptique, le piège imaginé commence à se dévoiler.
L’injonction « lève ton bâton et étends ta main »
(v.16) est une tournure que l’on retrouve dans plusieurs passages antérieurs de
l’Exode lors des fléaux infligés à l’Egypte
(l’eau changée en sang (Ex.7, 14-25), l’épisode des grenouilles (Ex.8,18),
l’invasion de moustiques (Ex.8, 13 ; 12-15) ou ultérieurement lors de la marche
dans le désert (l’eau sortant du rocher (Ex.17, 5).
Pour
la troisième fois dans la péricope, et de manière répétitive dans les v. 17, 18
Dieu manifeste l’intention de se « glorifier » auprès de Pharaon et son armée et désire renforcer
encore la détermination des égyptiens à poursuivre les fils d’Israël. Cette
insistance marque la volonté du Seigneur de frapper les esprits de manière
définitive.
« Le
messager de Dieu qui allait devant le camp d’Israël, et il alla derrière eux » (v19) est un élément mystérieux du texte. Car
ce messager n’apparaît que dans ce verset d’Ex 14. Ce messager peut être une métaphore de la
colonne de nuée qui est mise en scène dans le même verset. Mais il peut
également figurer l’Ange de l’Éternel qui apparaît à plusieurs reprises dans l’A.T,
à la fois messager de Dieu et ange pourvu de prérogatives divines tel qu’il
apparaît dans la suite de l’Exode (Ex.
23, 20 ; 33, 2).
La
colonne de nuée se déplace de l’avant garde des fugitifs d’où elle guidait
Israël, en arrière d’eux pour séparer les deux camps, éclairant l’un la nuit et
obscurcissant la vision de l’autre et les empêchant de se rejoindre. En guidant
Israël dans les flots, il est imaginable, même si le texte ne l’évoque pas, que
compte tenu du nombre d’israélites, et des nombreuses troupes égyptiennes qui
les suivent, cette marche et cette poursuite entre les murailles d’eau durent plusieurs
heures, l’action se situant vraisemblablement entre l’obscurité et « le tournant du matin » (v.27),
sans doute à l’aube, le texte restant ambigu sur ce point.
2.3. L’action transformatrice (v. 21-28)
Cette séquence est le
résultat de la préparation effectuée par Dieu et Moïse. À deux reprises, par un
geste d’ouverture (v.21) et de fermeture de la mer (v.28), Moïse avec l’assistance active et déterminante
de Dieu va ouvrir une brèche dans les flots puis les refermer. Dans ce couloir
de « terre sèche » vont s’avancer successivement Moïse, guidant
Israël, suivi de la colonne de nuée, qui protège l’arrière-garde d’Israël, puis
Pharaon qui précède ses innombrables chars et cavaliers.
Actions conjuguées de Moïse et du Seigneur
Actions directes de Moïse
|
Actions du Seigneur
|
Résultats
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Phase 1
(v.21)
|
« et Moïse étendit sa main sur la mer... »
|
« ...et le Seigneur fit s’en aller la
mer par un puissant vent d’est... »
|
«… Il mit la mer en terre (sèche) et
les eaux se fendirent. »
|
Phase 2
(v.26)
|
« Et Moïse étendit sa main sur la mer
et la mer revint ...»
|
« Et le Seigneur culbuta
les Égyptiens... »
|
« Et les eaux
recouvrirent chars et cavaliers […] il n’en resta pas un seul.»
|
A) Première phase (v.21-25) Premier geste
initiateur de Moise
« Moïse étendit sa main.. » (v.21). Cette action solennelle n’est pas
sans rappeler la Genèse lorsque Dieu sépare la terre et les eaux (Gn.1, 9-10). Elle
confère à Moïse, par délégation divine, un pouvoir créateur. Symboliquement, dans
la genèse, Dieu met en ordre les éléments naturels et ordonne le chaos originel.
En revanche, c’est bien le retour au chaos, à l’indistinction qui attend les égyptiens
dans une étendue maritime informe et mortelle dans laquelle plus rien ne se
distingue.
A1- Ouverture des flots
L’action de Moïse est complétée par l’action du
Seigneur qui embourbe les chars des soldats,
fait souffler un puissant vent d’Est puis culbute les égyptiens dans les
flots. L’ouverture des flots par Moïse n’aurait donc pas suffit à assurer le
succès de l’opération qui a résulté d’une étroite coopération d’action entre le
Seigneur et lui. Celle-ci n’est pas unique: dans les chapitres consacrés aux
plaies d’Égypte figure un tableau analogue : Dieu demande à Moïse
d’étendre sa main pour faire envahir le pays par les sauterelles (Ex 7.11). Moïse
obtempère, levant son bâton, mais c’est l’Éternel qui fait souffler un vent
d’orient amenant les sauterelles.
A2-La déroute des Égyptiens
C’est une déroute
physique du camp des Égyptiens qui est provoquée par le Seigneur
(V. 24) qui « dévie les roues de leurs chars »
(v.25) qui s’embourbèrent. Mais c’est
également une déroute morale : « Fuyons
de devant Israël, car c’est le Seigneur qui combat pour eux contre l’Égypte» (v.25).
Cette expression de dépit est la reconnaissance exprimée par les Égyptiens
de la Gloire du Seigneur que celui-ci escomptait depuis la mise en place du piège
refermé sur eux.
B) deuxième phase 2 (v.26-28) Second geste
initiateur de Moïse
Celui-ci (v.26) est également
couplé à l’action du Seigneur qui après avoir dévié les chars, culbuté les Égyptiens
les fait recouvrir par les flots. Les eaux viennent par l’arrière des égyptiens leur
coupant toute retraite possible: « (les
eaux) recouvrirent […] toute l’armée de Pharaon qui était venue derrière
eux » (v.28). En l’absence de précision du texte il est imaginable de
penser que les eaux qui ont recouvert les Égyptiens n’ont pas atteint l’arrière-garde
israélienne protégée par la colonne de nuée ou /et qu’Israël avait déjà atteint
la terre ferme. « Il n’en resta pas
un seul » (v.28): la victoire totale sur Pharaon et ses troupes est
acquise.
2.4. Dénouement (v.29, 30)
Cette fin tragique
des égyptiens a pour conséquence le salut des israélites qui ont continué à
cheminer entre deux murailles d’eau avant d’atteindre la terre ferme.
« Et le seigneur sauva ce jour-là Israël de la main de l’Égypte
et Israël vit l’Égypte morte sur le
bord de la mer » (v.30).
La promesse faite par
Moïse au peuple se trouve exécutée comme le montre la reprise des termes
témoignant de la promesse initiale (v.13) qui sont répétés en v.30 et v.31 pour
confirmer sa réalisation :
Concordance des versets et des verbes
d’action (craindre, voir, sauver)
|
Verset
13: la promesse
|
V.30 :
la réalisation
|
V.
31 la réalisation
|
|
...Voyez
le salut du Seigneur…
|
...Le Seigneur sauva ce jour là…
|
||
…Car vous qui voyez les Égyptiens aujourd’hui vous ne les verrez plus jamais…
|
... Et Israël vit l’Égypte morte sur le bord de la mer…
|
... Et Israël vit le haut fait…
|
|
Moise dit au peuple ne craignez
pas
|
Le
peuple craignit le Seigneur
|
2.5. Situation finale (v.31)
La crainte d’Israël
s’exprime tout au long du chapitre, crainte que Moïse tente de lever auprès du
peuple: « ne craignez pas,
tenez vous prêts et voyez le salut du Seigneur qu’il accomplira pour vous aujourd’hui »
(v.13). Cette prédiction réalisée, la crainte des israélites demeure
néanmoins (v.31) mais elle va changer de nature. Ce n’est plus l’Égypte qui
l’inspire, ni la mer vaincue avec succès, mais c’est la crainte qu’inspire le
« Tout Autre » qui, dans cette théophanie, a montré sa gloire et sa
puissance infinie. C’est ce que le sociologue des religions René Otto nomme le
« mysterium tremendum », c’est-à-dire l’effroi mystique qui saisit
l’individu face au mystère de l’inaccessibilité absolue de Dieu, crainte qui ne
peut être chassée, estime-t-il, que par la
piété qui permet une tension positive et confiante vers Dieu. Et c’est bien le cas ici, comme
le précise le v.31: « et ils
crurent dans le Seigneur et dans Moïse son serviteur ».
3. Exégèse comparative d’Exode 14 avec Esaïe
43 (16-21).
Exode 14 fonctionne
comme la matrice de plusieurs thèmes biblique fondateurs. Le thème du mal et de
la mort représentés par le pharaon et l’Égypte, celui du désert qui est à la fois source de mort et
de vie, celui de l’eau qui peut aussi de
manière ambivalente engloutir les ennemis d’Israël et permettre la renaissance à une vie nouvelle. Couronnant
ses différents thèmes, figure celui de
l’alliance de Dieu fidèle à ses promesses envers son peuple souvent infidèle et ingrat.
Le livre de Jérémie, du Vème siècle environ, qui
appartient à la lignée des grand textes prophétiques de la bible hébraïque
comme Ezéchiel, Jérémie ou Daniel.
Limites de la péricope
Cette périscope prend
place dans ce discours général qui développe l’idée du salut pour le peuple
d’Israël. Du verset 8 à 13, Jéhovah va
se proclamer l’auteur de ce salut dont Israël doit être le témoin. Les versets
6 à 21 qui nous intéressent très directement ici, proclament la sortie de
Babylone à l’équivalent de ce que fut la sortie d’Égypte tel que Exode 14 et 15
les relatent. Les versets 22 à 28, qui
bordent cette péricope, donnent la cause de ce salut : la grâce de Dieu qui pardonna une fois de plus le pêché de son
peuple.
Commentaire du texte
16. Ainsi parle Yahvé,
celui qui traça dans la mer un chemin,
un sentier dans les eaux déchaînées,17 qui fit sortir char et cheval, armée et troupe d'élite ensemble; ils se sont couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, comme une mèche ils se sont consumés.18 Ne vous souvenez plus des événements anciens, ne pensez plus aux choses passées.
un sentier dans les eaux déchaînées,17 qui fit sortir char et cheval, armée et troupe d'élite ensemble; ils se sont couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, comme une mèche ils se sont consumés.18 Ne vous souvenez plus des événements anciens, ne pensez plus aux choses passées.
Ces versets
rappellent directement la sortie d’Égypte et la destruction de l’armée du
pharaon. Ils
constituent un rappel de Esaïe 10.26 « Et
l'Éternel des armées lèvera contre lui le fouet, comme il frappa Madian au
rocher d'Oreb; son bâton est sur la mer, et il le lève comme autrefois en Égypte!»
et également Esaïe 11.15 « L'Éternel
frappera d'interdit la langue de la mer d'Égypte, et il lèvera sa main contre
le fleuve, dans l'ardeur de son souffle, et il le partagera en sept ruisseaux,
et il fera qu'on y marche en sandales ».
18 Ne vous souvenez plus des événements anciens, ne pensez plus aux
choses passées 19 voici que je vais faire une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne
la reconnaissez-vous pas ?
Oui, je vais mettre dans le désert un chemin, et dans la steppe, des fleuves.20 Les bêtes sauvages m'honoreront, les chacals et les autruches, car j'ai mis dans le désert de l'eau et des fleuves dans la steppe, pour abreuver mon peuple, mon élu.
Oui, je vais mettre dans le désert un chemin, et dans la steppe, des fleuves.20 Les bêtes sauvages m'honoreront, les chacals et les autruches, car j'ai mis dans le désert de l'eau et des fleuves dans la steppe, pour abreuver mon peuple, mon élu.
Dieu demande a son peuple de ne pas « revenir
en arrière » sur le passé (ce qui est un thème récurrent depuis l’Exode:
la volonté de retrouver le passé, de revenir en Égypte, retrouver une forme de sécurité,
fut ce au prix de l’esclavage, préoccupaient
les enfants d’Israël. Moïse et Yahvé incessamment les pressaient d’aller de l’avant,
de prendre le risque de l’aventure en faisant confiance à la promesse de Dieu.
Ici les mêmes réticences se manifestent peut-être, d’autant que beaucoup
d’exilés établis a Babylone y vivaient confortablement et ne voyaient sans
doute pas l’intérêt de repartir de manière hasardeuse affronter le désert vers
une patrie oubliée. Mais le peuple devrait pressentir la possibilité de le
faire et aller de l’avant puisqu’il avait déjà vécu cette prise de risque
. Plusieurs prédictions du retour de Babylone présentaient celui-ci comme un
nouvel exode. Mais Dieu assure que cette aventure ne se fera pas à l’identique:Il
assure que le désert sera praticable, l’eau coulera en abondance pour abreuver
les assoiffés et toute la nature y
compris les bêtes sauvages s’associeront
à ce nouveau prodige. Cette promesse rappelle la description faite en Esaïe 35.7- 8 « le
mirage se change en un lac et la terre altérée en sources d'eau ; le
repaire où gîtaient les chacals devient un parc de roseaux et de joncs. 8 Et il y a là une route, une voie, qu'on appellera
la voie sainte ; aucun impur n'y passera ; elle n'est que pour eux
seuls ; quiconque suivra ce chemin, les simples mêmes, ne s'égareront
pas ».
Enfin, Yahvé souhaite
que son peuple élu « mon
peuple, mon élu » le reconnaisse et chante ses louanges comme il le fit en Ex.15 après le passage de la mer
rouge.
Modèle
paradigmatique de Exode 14
Les termes « mer, eaux
déchaînées, désert, steppes, bêtes sauvages, chacals » qui sont des
termes négatifs traduisant les risques
et le danger vécus dans le contexte de l’Exode sont ici, par
une nouvelle promesse divine, contrebalancés
par ceux positifs de «sentier, chemin, eau, fleuves, abreuver ». Dans
Ex. 14 le danger que représentait, « la mer » est devenue
l’instrument de liberté grâce au chemin que Dieu y a tracé, l’ennemi mortel qu’était
« pharaon » est anéanti. Sur le même modèle paradigmatique, dans
Esaïe 43, les dangers et les risques se transforment en opportunités : le
risque du « désert » est supprimé par un chemin praticable, la soif est comblée par l’eau
qui deviendra « fleuve » abreuvant hommes et nature ; les
ennemis mortels que sont « bêtes fauves et chacals » deviennent instrument
de louange. Dans les deux cas le pouvoir et la volonté de Yahvé est de
préserver son peuple de la mort et de le guider vers la liberté.
CONCLUSION
Le souvenir du
passage de la mer rouge a soutenu la foi d’Israël et le rappel en est fait à de
multiples reprises dans les textes de l’ancien et du nouveau testament. Soit un
rappel littéral qui a pour but de faire mémoire concrètement de l’événement,
soit un rappel thématique qui exploite des éléments structurants que sont les
thèmes du passage de l’eau, du désert, de l’alliance et surtout de la capacité
de Dieu de sauver de la mort et donner la vie comme dans Ézéchiel 37 qui
redonne vie aux os.
Dans l’Exode, la
marche au désert va s’achever par un autre passage dans l’eau, celui du
Jourdain. C’est en traversant le même Jourdain que Jonathan fuyant Bacchides
sera sauvé (1Maccabéés 9, v.48). C’est aussi dans le Jourdain que Jésus sera
baptisé par Jean Baptiste.
Le baptême chrétien
fait mémoire à travers la mort et la renaissance du baptisé à cette symbolique
de l’eau et du passage qui a marqué la naissance d’Israël à une vie nouvelle.
……………………
BIBLIOGRAPHIE
ecouter
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LA
BIBLE, avec notes d’études
archéologiques et historiques,
Segond 21, deuxième édition 2016, ed. Société Biblique de Genève, Romanel sur
Lausanne, dif. La maison de la bible, p104, 105.
quesnel
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col. Analecta Biblica 109, Roma, ed. Pontificio instituto biblico, 1997.
ska
jean louis, Introduction à
la lecture du pentateuque, clés pour
l’interprétation des cinq premiers livres de la Bible, ed. Lessius,
Bruxelles, 2000.p.101-109.
wenin
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dans le premier testament, , 2° édition revue et augmentée, coll. « Théologies
bibliques », Paris, Éditions du Cerf 2004.p.83-107.
[1] GIBERT Pierre , Bible, mythes et récits de
commencement, , Paris Seuil, 1986,
p.174-176, et WENIN André, Le passage de la mer (Ex. 14) Regards pluriels
sur un récit fondateur, «Horizons de la foi» n°54, Bruxelles 1993,
p.6-7.11-12.17.
[2] SKA Jean Louis, Introduction
à la lecture du pentateuque, clés pour l’interprétation des cinq premiers
livres de la Bible, Bruxelles Editions Lessius, , 2000.p.101-109.
[3] WENIN André, l’Homme
biblique, Lectures dans le premier
testament, 2° édition,Paris Éditions du Cerf,
, 2004.p.83-107.
[4] « Ce
peuple est maintenant nombreux dans le pays, et vous lui feriez interrompre ses
corvées ! »(Ex 5,5).
[5] « Qui est l’Éternel, pour que j’obéisse à ses
ordres en laissant partir Israël. Je ne connais pas l’Éternel et je ne
laisserai pas partir Israël » (Ex.5, 2).
[6] «Levez vous, sortez du milieu de mon peuple, vous et
les israélites. Allez servir l’Éternel comme vous l’avez dit [...] et bénissez
moi » (Ex.12, 32).
