vendredi 15 avril 2016

L 'APOCALYPSE






L’ENSEIGNEMENT DE JEAN DE PATMOS



En introduction un rappel : Jean de Patmos n’est pas le fils du pêcheur  Zebedé, « le disciple que Jésus aimait » et il est douteux que celui ci ait  écrit l’évangile de Jean. Il n’est pas non plus l’évangéliste. Il est un (ou plusieurs) exilé  de l’empire à Patmos à la fin du premier siècle (sous Domitien, Néron ou Vespasien  suivant les auteurs).

L’ENVIRONNEMENT DE L’APOCALYPSE

*     L‘Apocalypse s’inscrit dans le  combat et  l’espérance d’Israël
           
·      Car Israël est un combat incessant
On pourrait illustrer allégoriquement le parcours du peuple hébreu par la figure de David ou de  Jacob qui devient Israël : celui qui lutte  
Car pendant 1000 ans l’histoire d’Israël et de Juda est celle d’un permanent combat contre tous les peuples du moyen orient. Avec deux événements majeurs: la première destruction du Temple en 587 puis, après la domination grecque  à partir de 332,  la destruction du second temple en 70 par les romains .

·      Israël nourrit une espérance messianique
Cette histoire chaotique et souvent tragique (cf les Maccabées, Massala) va de pair avec une forte acculturation  des élites juives  influencées  par les  cultures grecques et romaines. Aussi la conservation identitaire d’Israël, sa nécessaire consolation et son espérance eschatologique seront réaffirmés constamment par les prophètes. On pourrait évoquer  Daniel (écrit pendant l’exil) ou  Isaïe,  qui ont écrit avant ou pendant l’exil. Mais aussi des apocryphes et des pseudépigraphiques  de la tradition juive. L’Apocalypse de Jean s’inscrit en continuité de cette longue veine prophétique..( On qualifie d’apocryphe un écrit « dont l'authenticité n'est pas établie  » parce que jugé par les autorités religieuses comme non inspiré par Dieu. Un pseudépigraphe étant un ouvrage dont le nom d’attribution de l'auteur est  faux comme le livre d’Hénoch)  


*    L’Apocalypse  poursuit une tradition prophétique et apocalyptique
En grec « apokalupsis » signifie « Révélation, dévoilement ». Ce genre rapporte songes, visions extatiques et le plus souvent eschatologiques.

Dans le livre d’Ezéchiel ( vraisemblablement 6° siècle av JC) la Gloire apparaît « comme » « une figure d’homme » lui fait manger un rouleau   on y avait écrit des plaintes, des gémissements, des cris » ( semblable au livre qui sera mangé par Jean dans l’Apocalypse).Dieu prévient Ezéchiel de la destruction prochaine de Jérusalem, puis du retour des juifs à Jérusalem qui sera habité d’une seule « gloire « et le paradis descendrait sur terre » ( préfiguration de la Jérusalem céleste). Mais c’est aussi l’image de la Parole de Dieu qui se « mange » comme les Hébreux vont manger la manne dans le désert. « Qu’est-ce que cela ? » (מָן הוּא Man hou ?) car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que L’Éternel vous donne pour nourriture ».
 
Dans le livre d’Enoch (3° siècle avant JC) on retrouve l’inspiration d’Ezéchiel :
«  Là je vis l’Ancien des jours (celui qui détient le Principe des jours) dont la tête était comme de la laine blanche, et avec lui un autre, qui avait la figure d’un homme. Cette figure était pleine de grâce, comme celle d’un des saints anges. Alors j’interrogeai un des anges qui était avec moi, et qui m’expliquait tous les mystères qui se rapportent au Fils de l’homme.

Jean trois siècles plus tard décrit ce Fils d’Homme dans l’Apocalypse :
« Je me retournai pour regarder la voix qui me parlait ; et, m'étant retourné, je vis sept chandeliers d'or ; et, au milieu des chandeliers, quelqu'un qui semblait un fils d'homme. 
Il était vêtu d'une longue robe, 
une ceinture d'or lui serrait la poitrine ; sa tête et ses chevaux étaient blancs comme laine blanche, comme neige…dans sa main droite, il tenait sept étoiles, 
et de sa bouche sortait un glaive acéré, à deux tranchants. 
Son visage resplendissait, tel le soleil dans tout son éclat ».(Apocalypse 1, 12-15) .
La vision  du « fils de l’Homme » de Jean de Patmos présente de flagrantes analogies avec la tradition apocalyptique qui va d’Ezéchiel au 6° siècle avant J.C aux derniers prophètes Daniel et Enoch et à  d’autres textes contemporains ou postérieurs
(Le livre de Daniel est le plus récent de l'Ancien Testament ; Daniel figure parmi les quatre « grands prophètes », dans les traditions catholique et orthodoxe, avec Isaïe, Jérémie et Ézéchiel .Comme le Livre d'Hénoch et d'autres apocryphes bibliques trouvés à Qumrân, le livre de Daniel  est écrit dans un style apocalyptique. Sa composition finale date du règne d'Antiochos IV (175 à 163 av. J.-C.)
*    L’apocalypse se constitue dans une époque charnière de l’histoire du christianisme

·      Epoque  de constitution de la foi
La religion chrétienne se cherchait : à l’époque de Jean l’église institutionnelle n’existait pas mais était formée de groupes judéo-chrétiens formes  de juifs ou de païens. Les variations doctrinales sur la nature du Christ germaient de tous côtés : diocètes qui pensaient que le corps humains de Jésus n’était qu’illusoire, gnostiques, puis plus tard arianistes :Arius affirmait que Jésus n’était qu’un homme doté de pouvoirs extraordinaires par Dieu, seul le Père est éternel :le Fils et l’Esprit sont des créations subordonnées ( doctrine qui perdura chez certains peuples jusqu’’au 7° siècle malgré sa condamnation au concile de Nicée en 325). Il fallait clairement affirmer la nature  du christianisme et peu à peu l’église va constituer sa doctrine et se constitue elle même par rapport aux nombreuses doctrines qui surgissent successivement.

·      Epoque de martyrologie chrétienne
La solidification de la foi chrétienne se traduit par les persécutions des premiers martyrs qui sont contemporains des écrits de l’Apocalypse
 Ces martyrs sont ceux dans l’Apocalypse  qui vont demander à accéder au ciel lors de la brisure du 5°sceau. « Quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été immolés à cause de la parole de Dieu et à cause du témoignage qu’ils avaient rendu.  Pour saisir l’état d’esprit du martyre rappellons qu’Ignace d’Antioche – martyr contemporain de Jean de Patmos- jeté aux lions,  associe le martyre du corps  aux grains de blé moulus pour devenir le pain de l'Eucharistie
La persécution des saints va être un des thème  de l’Apocalypse notamment sous les traits de la Femme ( qui peut symboliser l’Eglise, l’Esprit Saint, le peuple de Dieu, Marie suivant les interprétations).Celle ci donne naissance un enfant menacé par un dragon rouge ( le diable) qui va adouber la Bête ( symbolisé par Néron ou le monde) .Celui ci  à son tour adoubera le faux prophète qui éblouira le monde de ses faux prodiges

·      Epoque de la fin des temps imminente
Cet élément de la fin des temps  trouve sa source dans Matthieu (24-34) «   De même, vous aussi, quand vous verrez tout cela, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos portes. En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive.   »
Les chrétiens  croient  que la parousie est proche. Le messie  reviendra installer son royaume à Jérusalem nouveau centre du monde .
Cette attente bientôt interminable sera une des sources de l’érémitisme et du monachisme chrétien. Des hommes voudront contribuer à hâter cette fin en se retirant du monde. L’époque de Jean  est le tout début de la période du monachisme chrétien. Cette ascèse est renforcée par le sentiment d’un monde finissant tel que le décrit Saint Cyprien de Carthage  vers 200.
A l’époque de Jean il y a donc coexistence provisoire du « temps présent » et de « l’ère nouvelle ».

L’Apocalypse de Jean

*     « résumé » de l’Apocalypse
Jean «  fut ravi en esprit » ( Ap.1- 10) .D’autres prophètes comme Ezéchiel ou Paul ont vécu cette expérience. L’Apocalypse se veut le témoignage d’une expérience et non la révélation d’un songe.
·      Les lettres aux sept églises A Patmos Jésus ressuscité se révèle » à son serviteur Jean » (1 :1)  Il reçoit l’ordre d’écrire aux sept églises d’Asie pour faire part des reproches ( contre la pax romana) et leur annoncer la venue en gloire de JC.
·      Vision du Fils de l’Homme, de Dieu, des quatre vivants et des 24 vieillards Apres cela Jean voit « une porte ouverte dans le ciel »ou il est emmené  (puis il verra successivement le Temple s’ouvrir, puis le ciel ) devant un trône : « sur ce trône quelqu’un était assis »(4 , 1) qui « avait l’aspect d’une pierre de jaspe et de sardoine » (4, 3« Autour du trône vingt quatre trônes sur lesquels étaient assis vingt quatre vieillards revêtus de vêtements blancs avec des couronnes d’or »  Ils sont déjà morts mais ressuscités .Dans les conseils des anciens juifs siégeaient des vieillards généralement au nombre de douze (Esséniens, Jérusalem, Alexandrie, Syrie. Autour du trône « quatre êtres vivants  remplis d’yeux devant et derrière » ( 4 :6)»( cf  &précédent la vision quasi similaire d’Ezéchiel ).Celui qui siège sur le trône tient en main droite « un livre écrit en dedans et en dehors , scellé de sept sceaux( 5 :1) » que seul « un agneau qui était là comme immolé ( 5 :6) » est digne d’ouvrir. [1] Dans l’apocalypse le christ est appelé quatorze fois « Arnion » ( en grec ce terme désigne l’agneau et le bélier – cf Abraham) A l’origine agneau pascal sacrifié le 14° jour du premier mois de l’année ( nisan). Ce jour là  Jésus est mis à mort :les chrétiens le considèrent comme l’agneau pascal
  
·      Le temps du repentir
L’ouverture des quatre premiers sceaux s’accompagne de phénomènes effrayants et donne chaque fois le signal du départ à un des quatre cavaliers de l’apocalypse dont le dernier est  la mort. Le cinquième  sceau libère des âme mortes des martyrs pour le Christ qui réclament vengeance (Cf & précédent sur les  martyrs ).L’ouverture du 6°sixième sceau s’accompagne d’effrayants tremblements  de terre ( ch.6 et 7 ).Le dernier sceau est rompu à la gloire de Dieu  « quand il ouvrit le sceau il y eut dans le ciel un silence d’environ une demi heure »( 8, 1)-car Dieu est aussi silence-( par référence  Élie entend lui aussi « un bruit de fin silence », et alors Dieu lui parle (1 Rois 19)..Sept anges font alors sonner la trompette , chaque sonnerie apportant grêle, feu, destruction, fléaux, sauterelles harnachées pour le combat(ch.8 et 9)Un autre ange apporte un petit livre ouvert que Jean doit manger (10) « Prends le et avale le ;il sera amer à tes entrailles mais doux dans ta bouche comme du miel »(10 :9) :Cf en &A2 ci dessus la référence à Ezéchiel :manger le livre.




 L’inauguration du règne du Christ
L’épisode suivant (Ch.12) met en scène la lutte d’une Femme couronnée de douze étoiles en train d’enfanter. Avec un dragon a sept têtes et dix cornes qui veut dévorer l’enfant
Au ch.17 Jean est amené à voir la grande prostituée luxurieuse « ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus » (17,6) chevauchant la bête écarlate. Au ch. 18- Babylone- c’est à dire Rome- est tombée « elle est devenue une habitation de démons, un repaire de tout esprit impur et odieux, parce que toutes les nations ont bu du vin et la fureur de son impudicité, et que les rois de la terre se sont livrés à elle à l’impudicité, et que les marchands de la terre se sont enrichis de ses excès sans borne » (18 :3) .Comment dans cette description féroce de Rome assimilée à l’impure, ne pas songer au poème d’Emile Verhaeren  « On s’écrase sans plus se voir, en quêtedu plaisir d’or et de phosphore ; des femmes s’avancent, pâles idoles,avec, en leurs cheveux, les sexuels symboles… Places, hôtels, maisons, marchés,ronflent et s’enflamment si fort de violenceque les mourants cherchent en vain le moment de silence qu’il faut aux yeux pour se fermer .C’est la ville tentaculaire,la pieuvre ardente et l’ossuaire...

Et les chemins d’ici s’en vont à l’infinivers elle. »  Ou à celui de Saint John Perse « Ô ville, sur le ciel ! Graisses ! Haleines reprises, et la fumée d’un peuple très suspect-car toute ville ceint l’ordure. La Ville par le fleuve coule à  la mer comme un abcès ».( Saint John Perse . La Ville. Eloges .La Pléiade. p 13)

·      Le jugement et le Salut
Puis au ch. 19 sont évoquées les noces de l’Agneau et son épouse (l’Eglise ou l’Esprit) quand s’ouvre le ciel sur un « cheval blanc.. monté par Fidèle et Véritable ..revêtu d’un vêtement teinté de sang.. dont les yeux sont comme une flamme de feu.. son nom est la parole de Dieu » (19, 11-12-13) et « il avait un nom écrit que personne ne connaît si ce n’est lui même »(19,13). Ce « nom  écrit que personne ne connaît »est le nom du Seigneur, le tétragramme composé de quatre lettres que les juifs appelaient « le nom caché » ; il sera lisible à la fin des temps. Fidèle va vaincre avec l’épée de sa bouche la bête et les rois. Il est le Verbe de Dieu. Puis vient le jugement final de récompensant chacun selon ses œuvres



Ch.21 « Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel...Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d'auprès de Dieu, 
comme une épouse qui s'est parée pour son époux.
 
….Alors l'un des sept anges qui tenaient les sept coupes pleines des sept derniers fléaux vint m'adresser la parole et me dit : 
Viens, je te montrerai la fiancée, l'épouse de l'agneau…. 
et il me montra la cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel .Mais de temple, je n'en vis point dans la cité, 
car son temple, c'est le Seigneur, le Dieu tout-puissant ainsi que l'agneau »[1]
Bien qu’au ch.11 Jean ait vu reconstruit le temple eschatologique de la fin des temps, le vrai Temple c’est le Seigneur lui même, le Dieu et l’agneau. »Détruisez ce Temple et en trois jours je le relèverai (Jean 2.19) ».Comme signe prophétique de la  dématérialisation et selon l’évangile de Thomas, Jésus a prédit que le Temple ne serait pas reconstruit : »Jésus dit « je détruirai cette demeure et nul ne la reconstruira »(logion 71)
 
Ch.22 « Le trône de Dieu et de l'agneau sera dans la cité, et ses serviteurs lui rendront un culte, ils verront son visage et son nom sera sur leurs fronts. Puis l’ange dit à Jean dit : le temps est proche.
*     Commentaires sur l’Apocalypse
Les quatre vivants représentent symbolisent l’univers crée, le monde vivant. Les vingt quatre vieillards représentent le nouveau peuple de Dieu en gloire, rendant gloire à Dieu et à l’Agneau, participant à leur royauté.

Le livre retrace l’histoire d’Israël comme symbole universel. L’Agneau seul peut ouvrir le livre et donner un sens à l’histoire. René Guenon dans « Symboles de la science sacrée » voit en l’agneau Purusha (qui partage son corps) mais aussi l’agneau védique symbole du feu au centre de la svastika dans le « non agir »
En langage chrétien Jésus a ouvert un temps nouveau par sa résurrection.
Chacun est amené à participer à l’avènement du Royaume. La principale qualité est le don de soi et engagement dans la foi en l’Agneau est la condition du salut individuel rendu au moment du jugement final de chacun lors de l’ouverture du livre de vie car la fin des temps est proche