L’ENSEIGNEMENT
DE JEAN DE PATMOS
En introduction un rappel :
Jean de Patmos n’est pas le fils du pêcheur Zebedé, « le disciple que Jésus
aimait » et il est douteux que celui ci ait écrit l’évangile de Jean. Il n’est pas non
plus l’évangéliste. Il est un (ou plusieurs) exilé de l’empire à Patmos à la fin du premier
siècle (sous Domitien, Néron ou Vespasien
suivant les auteurs).
L’ENVIRONNEMENT
DE L’APOCALYPSE

·
Car Israël est un combat
incessant
On pourrait illustrer
allégoriquement le parcours du peuple hébreu par la figure de David ou de Jacob qui devient Israël : celui qui
lutte
Car pendant 1000 ans l’histoire
d’Israël et de Juda est celle d’un permanent combat contre tous les peuples du
moyen orient. Avec deux événements majeurs: la première destruction du
Temple en 587 puis, après la domination grecque à partir de 332, la destruction du second temple en 70 par les
romains .
·
Israël nourrit une espérance
messianique
Cette histoire chaotique et souvent tragique (cf les Maccabées, Massala)
va de pair avec une forte acculturation des
élites juives influencées par les cultures grecques et romaines. Aussi la conservation
identitaire d’Israël, sa nécessaire consolation et son espérance eschatologique
seront réaffirmés constamment par les prophètes. On pourrait évoquer Daniel (écrit pendant l’exil) ou Isaïe, qui ont écrit avant ou pendant l’exil. Mais
aussi des apocryphes et des pseudépigraphiques de la
tradition juive. L’Apocalypse de Jean s’inscrit en continuité de cette longue
veine prophétique..( On qualifie d’apocryphe
un écrit « dont l'authenticité n'est pas établie » parce que jugé
par les autorités religieuses comme non inspiré par Dieu. Un pseudépigraphe étant un ouvrage dont le nom d’attribution de l'auteur est faux
comme le livre d’Hénoch)

En grec « apokalupsis » signifie
« Révélation, dévoilement ». Ce genre rapporte songes, visions
extatiques et le plus souvent eschatologiques.
Dans le livre d’Ezéchiel ( vraisemblablement 6° siècle
av JC) la Gloire apparaît « comme » « une figure d’homme » lui fait manger un rouleau on y avait écrit des plaintes, des
gémissements, des cris » ( semblable au livre qui sera mangé par Jean
dans l’Apocalypse).Dieu prévient Ezéchiel
de la destruction prochaine de Jérusalem, puis du retour des juifs à Jérusalem
qui sera habité d’une seule « gloire « et
le paradis descendrait sur terre » ( préfiguration de la Jérusalem
céleste). Mais c’est aussi l’image de la Parole de Dieu qui se
« mange » comme les Hébreux vont manger la manne dans le désert. « Qu’est-ce
que cela ? » (מָן הוּא Man hou ?) car ils ne savaient pas ce que
c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que L’Éternel vous
donne pour nourriture ».
Dans le livre d’Enoch (3° siècle avant JC) on
retrouve l’inspiration d’Ezéchiel :
« Là je vis l’Ancien des jours (celui qui détient le Principe des
jours) dont la tête était comme de la laine blanche, et avec lui un autre, qui
avait la figure d’un homme. Cette figure était pleine de grâce, comme celle
d’un des saints anges. Alors j’interrogeai un des anges qui était avec moi, et
qui m’expliquait tous les mystères qui se rapportent au Fils de l’homme.
Jean trois siècles plus tard décrit
ce Fils d’Homme dans l’Apocalypse :
« Je me retournai pour regarder la voix qui me parlait ; et,
m'étant retourné, je vis sept chandeliers d'or ; et, au milieu des
chandeliers,
quelqu'un qui semblait un fils d'homme.
Il était vêtu
d'une longue robe,
une ceinture d'or lui serrait la poitrine ; sa tête et
ses chevaux étaient blancs comme laine blanche, comme neige…dans sa main
droite, il tenait sept étoiles,
et de sa bouche sortait un glaive acéré, à
deux tranchants.
Son visage resplendissait, tel le soleil dans tout son éclat ».(Apocalypse
1, 12-15) .
La vision du « fils de l’Homme » de Jean
de Patmos présente de flagrantes analogies avec la tradition apocalyptique qui
va d’Ezéchiel au 6° siècle avant J.C aux derniers prophètes Daniel et Enoch et
à d’autres textes contemporains ou
postérieurs
(Le livre de Daniel est le plus récent de l'Ancien Testament ; Daniel figure parmi les quatre « grands
prophètes », dans les traditions catholique et orthodoxe, avec Isaïe, Jérémie et Ézéchiel .Comme le Livre d'Hénoch et d'autres apocryphes bibliques trouvés à Qumrân, le livre de Daniel est écrit dans un style apocalyptique. Sa composition finale date du règne d'Antiochos IV (175 à 163 av. J.-C.)

·
Epoque de constitution de la foi
La religion chrétienne
se cherchait : à l’époque de Jean l’église institutionnelle n’existait pas
mais était formée de groupes judéo-chrétiens formes de juifs ou de païens. Les variations
doctrinales sur la nature du Christ germaient de tous côtés : diocètes qui
pensaient que le corps humains de Jésus n’était qu’illusoire, gnostiques, puis plus
tard arianistes :Arius affirmait que Jésus n’était qu’un homme doté de pouvoirs
extraordinaires par Dieu, seul le Père est éternel :le Fils et l’Esprit
sont des créations subordonnées ( doctrine qui perdura chez certains peuples
jusqu’’au 7° siècle malgré sa condamnation au concile de Nicée en 325). Il
fallait clairement affirmer la nature du
christianisme et peu à peu l’église va constituer sa doctrine et se constitue
elle même par rapport aux nombreuses doctrines qui surgissent successivement.
·
Epoque de martyrologie chrétienne
La solidification de la
foi chrétienne se traduit par les persécutions des premiers martyrs qui sont contemporains
des écrits de l’Apocalypse
Ces martyrs sont ceux dans l’Apocalypse qui vont demander à accéder au ciel lors de la
brisure du 5°sceau. « Quand il
ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été
immolés à cause de la parole de Dieu et à cause du témoignage qu’ils avaient rendu. Pour saisir l’état
d’esprit du martyre rappellons qu’Ignace d’Antioche – martyr contemporain de
Jean de Patmos- jeté aux lions, associe le
martyre du corps aux
grains de blé moulus pour devenir le pain de l'Eucharistie
La persécution des
saints va être un des thème de l’Apocalypse
notamment sous les traits de la Femme ( qui peut symboliser l’Eglise, l’Esprit
Saint, le peuple de Dieu, Marie suivant les interprétations).Celle ci donne
naissance un enfant menacé par un dragon rouge ( le diable) qui va adouber la
Bête ( symbolisé par Néron ou le monde) .Celui ci à son tour adoubera le faux prophète qui
éblouira le monde de ses faux prodiges
·
Epoque de la fin des
temps imminente
Cet élément de la fin
des temps trouve sa source dans Matthieu
(24-34) « De même, vous aussi, quand vous verrez tout cela, sachez que le Fils de
l'homme est proche, qu'il est à vos portes. En vérité, je vous le déclare,
cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive. »
Les chrétiens croient que la parousie est proche. Le messie reviendra installer son royaume à Jérusalem
nouveau centre du monde .
Cette attente bientôt
interminable sera une des sources de l’érémitisme et du monachisme chrétien. Des
hommes voudront contribuer à hâter cette fin en se retirant du monde. L’époque
de Jean est le tout début de la période
du monachisme chrétien. Cette ascèse est renforcée par le sentiment d’un monde
finissant tel que le décrit Saint Cyprien de Carthage vers 200.
A l’époque de Jean il y
a donc coexistence provisoire du « temps présent » et de « l’ère
nouvelle ».
L’Apocalypse
de Jean

Jean « fut ravi en esprit » ( Ap.1- 10) .D’autres prophètes comme Ezéchiel
ou Paul ont vécu cette expérience. L’Apocalypse
se veut le témoignage d’une expérience et non la révélation d’un songe.
·
Les lettres aux sept
églises
A Patmos Jésus ressuscité se révèle » à son serviteur Jean » (1 :1)
Il reçoit l’ordre d’écrire aux sept églises d’Asie pour faire part des
reproches ( contre la pax romana) et leur annoncer la venue en gloire de JC.
·
Vision du Fils de
l’Homme, de Dieu, des quatre vivants et des 24 vieillards Apres cela Jean voit « une porte ouverte dans le ciel »ou
il est emmené (puis il verra successivement
le Temple s’ouvrir, puis le ciel ) devant un trône : « sur ce trône quelqu’un était
assis »(4 , 1) qui « avait
l’aspect d’une pierre de jaspe et de sardoine » (4, 3) « Autour du trône vingt quatre trônes
sur lesquels étaient assis vingt quatre vieillards revêtus de vêtements blancs
avec des couronnes d’or » Ils
sont déjà morts mais ressuscités .Dans les conseils des anciens juifs
siégeaient des vieillards généralement au nombre de douze (Esséniens,
Jérusalem, Alexandrie, Syrie. Autour du trône « quatre
êtres vivants remplis d’yeux devant et derrière » (
4 :6)»( cf &précédent la vision quasi similaire
d’Ezéchiel ).Celui qui siège sur le trône
tient en main droite « un livre écrit
en dedans et en dehors , scellé de sept sceaux( 5 :1) » que seul « un agneau qui était là comme immolé (
5 :6) » est digne d’ouvrir. [1] Dans l’apocalypse le christ est appelé
quatorze fois « Arnion » (
en grec ce terme désigne l’agneau et le bélier – cf Abraham) A l’origine agneau
pascal sacrifié le 14° jour du premier mois de l’année ( nisan). Ce jour
là Jésus est mis à mort :les
chrétiens le considèrent comme l’agneau pascal
·
Le temps du repentir
L’ouverture des quatre premiers
sceaux s’accompagne de phénomènes effrayants et donne chaque fois le signal du départ
à un des quatre cavaliers de l’apocalypse dont le dernier est la mort. Le cinquième sceau libère des âme mortes des martyrs pour
le Christ qui réclament vengeance (Cf & précédent sur les martyrs ).L’ouverture
du 6°sixième sceau s’accompagne d’effrayants tremblements de terre ( ch.6 et 7 ).Le dernier sceau est rompu
à la gloire de Dieu « quand il ouvrit le sceau il y eut dans le ciel un silence
d’environ une demi heure »( 8, 1)-car Dieu est aussi silence-( par référence Élie entend lui aussi « un bruit de fin silence »,
et alors Dieu lui parle (1 Rois 19)..Sept anges font alors sonner
la trompette , chaque sonnerie apportant grêle, feu, destruction, fléaux,
sauterelles harnachées pour le combat(ch.8 et 9)Un autre ange apporte un petit
livre ouvert que Jean doit manger (10) « Prends
le et avale le ;il sera amer à tes entrailles mais doux dans ta bouche
comme du miel »(10 :9) :Cf en &A2 ci dessus la référence
à Ezéchiel :manger le livre.
L’inauguration du règne
du Christ
L’épisode
suivant (Ch.12) met en scène la lutte d’une Femme couronnée de douze étoiles en
train d’enfanter. Avec un dragon a sept têtes et dix cornes qui veut dévorer
l’enfant
Au ch.17 Jean est amené à voir la grande prostituée luxurieuse « ivre du sang des saints et du sang des
témoins de Jésus » (17,6) chevauchant la bête écarlate. Au ch. 18-
Babylone- c’est à dire Rome- est tombée « elle
est devenue une habitation de démons, un repaire de tout esprit impur et
odieux, parce que toutes les nations ont bu du vin et la fureur de son
impudicité, et que les rois de la terre se sont livrés à elle à l’impudicité,
et que les marchands de la terre se sont enrichis de ses excès sans
borne » (18 :3) .Comment
dans cette description féroce de Rome assimilée à l’impure, ne pas songer au
poème d’Emile Verhaeren « On
s’écrase sans plus se voir, en quête
du plaisir d’or et de
phosphore ; des femmes s’avancent, pâles idoles,
avec, en leurs
cheveux, les sexuels symboles… Places, hôtels, maisons, marchés,
ronflent
et s’enflamment si fort de violence
que les mourants cherchent en vain
le moment de silence qu’il faut aux yeux pour se fermer .C’est la ville
tentaculaire,
la pieuvre ardente et l’ossuaire...
Et les chemins
d’ici s’en vont à l’infini
vers elle. » Ou
à celui de Saint John Perse « Ô ville, sur le ciel !
Graisses ! Haleines reprises, et la fumée d’un peuple très suspect-car
toute ville ceint l’ordure. La Ville par le fleuve coule à la mer comme un abcès ».( Saint John
Perse . La Ville. Eloges .La Pléiade. p 13)
·
Le jugement et le Salut
Puis au ch. 19 sont
évoquées les noces de l’Agneau et son épouse (l’Eglise ou l’Esprit) quand
s’ouvre le ciel sur un « cheval blanc..
monté par Fidèle et Véritable ..revêtu d’un vêtement teinté de sang.. dont
les yeux sont comme une flamme de feu.. son nom est la parole de Dieu » (19,
11-12-13) et « il avait un nom écrit que personne ne connaît si ce n’est
lui même »(19,13). Ce « nom
écrit que personne ne connaît »est le nom du Seigneur, le
tétragramme composé de quatre lettres que les juifs appelaient « le nom
caché » ; il sera lisible à la fin des temps. Fidèle va vaincre avec
l’épée de sa bouche la bête et les rois. Il est le Verbe de Dieu. Puis vient le
jugement final de récompensant chacun selon ses œuvres
Ch.21 « Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le
premier ciel...Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui
descendait du ciel, d'auprès de Dieu,
comme une épouse qui s'est parée pour
son époux.
….Alors l'un des sept anges qui tenaient les sept coupes pleines
des sept derniers fléaux vint m'adresser la parole et me dit :
Viens, je
te montrerai la fiancée, l'épouse de l'agneau….
et il me montra la cité
sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel .Mais
de temple, je n'en vis point dans la cité,
car son temple, c'est le Seigneur,
le Dieu tout-puissant ainsi que l'agneau »[1]
Bien qu’au ch.11 Jean ait vu reconstruit le temple eschatologique de la
fin des temps, le vrai Temple c’est le Seigneur lui même, le Dieu et
l’agneau. »Détruisez ce Temple et en
trois jours je le relèverai (Jean 2.19) ».Comme signe prophétique de
la dématérialisation et selon l’évangile
de Thomas, Jésus a prédit que le Temple ne serait pas reconstruit : »Jésus dit « je détruirai cette
demeure et nul ne la reconstruira »(logion 71)
Ch.22 « Le trône de
Dieu et de l'agneau sera dans la cité, et ses serviteurs lui rendront un culte,
ils
verront son visage et son nom sera sur leurs fronts. Puis l’ange dit à Jean dit : le
temps est proche.

Les quatre vivants
représentent symbolisent l’univers crée, le monde vivant. Les vingt quatre
vieillards représentent le nouveau peuple de Dieu en gloire, rendant gloire à
Dieu et à l’Agneau, participant à leur royauté.
Le livre retrace l’histoire d’Israël comme symbole universel. L’Agneau seul
peut ouvrir le livre et donner un sens à l’histoire. René Guenon dans « Symboles de la science sacrée »
voit en l’agneau Purusha (qui partage son corps) mais aussi l’agneau védique
symbole du feu au centre de la svastika dans le « non agir »
En langage chrétien
Jésus a ouvert un temps nouveau par sa résurrection.
Chacun est amené à participer
à l’avènement du Royaume. La principale qualité est le don de soi et engagement dans la foi en l’Agneau est la condition
du salut individuel rendu au moment du jugement final de chacun lors de
l’ouverture du livre de vie car la fin des temps est proche