A la gloire de
Notre Dame
Les pierres que nous polissions étaient blanches, issues
de bonne carrière. Elles ne s’effritaient point et restaient imperméables à l’humidité.
Avec elles, nous édifiions autrefois les grands
châteaux seigneuriaux perchés aux marches des royaumes terrestres comme de
blanches sentinelles. Mais notre gloire était l’édification de la cité céleste
Nous étions les bâtisseurs de Notre Dame et nous lui offrions ces fleurs de pierre qui gardaient la
fraîcheur de la nuit jusqu’au cœur du jour et la chaleur du midi jusqu’au
minuit.
Nous étions des hommes droits
taillant des pierres franches. Nous
exhaussions vers la voûte céleste de grandes nefs en partance sous le souffle
divin.
Notre alliance de pierre et de chair était à l'image de l'Alliance avec Notre Seigneur . Nous n'étions que les outils de sa volonté pour bâtir Son Royaume éternel.
Certains d'entre nous savaient qu’en taillant les
pierres d’une manière à la pleine lune, et en les assemblant
suivant un ordre secret, elles feraient écho à
la musique des luths au printemps et à celles des vièles à l’automne
finissant. Alors Chartres se gonflait de notes sourdant de la muraille, bondissant
sept fois sur le labyrinthe et roulant sous les grands vitraux de lumière. Semblable
prodige pouvait s’écouter dans la cathédrale à la Saint Jean
Le prodige des pierres qui chantent était un secret de maçons inaccessible aux simples profanes. Mais des envieux ignorants qui jalousaient nos
secrets ont soutenu que notre savoir-faire
était l’oeuvre de fées malignes et démoniaques échappées des marais
profonds. Ils ont colporté sur nous cette menterie boueuse, à mots couverts, de
peur d'être inquiétés. Mais leur parole fielleuse a jeté le trouble.
Les gens de bien savaient que nous n'avions acquis
ce don qu’après nous être nous mêmes façonnés de taille pendant de longues années .
Et après que nous nous soyons équarris nous-mêmes, il nous était impossible de
dévoiler à autrui que les prodiges qui sont naturels à ceux qui avaient fait le chemin de pierre restaient
inaccessibles à ceux qui n'y avait point
conduit leur pas.
Là ou d'aucuns soupçonnaient noirs mystères et démoniaque magie il n'y avait que savoir faire ; nous ne pouvions confondre ces menteurs car leurs bouches envieuses crachaient
des mots faux accessibles aux esprits faibles; notre langue franche et dur comme la roche nécessitait une lente écoute de l’oreille et une brulante conversion du regard. Nous savions que leurs paroles menteuses
rattraperaient nos pas sur les routes qui menaient aux grands chantiers. Le Mal
est toujours incompréhensible à celui qui bâtit . Mais même celui là qui n'accepterait pas l'ordre
parfois injuste du monde serait bien fou de contrarier ce qui est peut être un plan secret conçu par la divine volonté .
Dans le monde moderne naissant le temps des pierres blanches était
finissant. Notre temps était consommé.
Depuis les grands châteaux de
pierre aux marches du Royaume se sont affaissés.
Les fleurs dans
les mains de Notre Dame se sont fanées.
Les carrières sont fermées
et les pierres franches ont roulées dans les fossés.
Pourtant nous sommes
quelques uns encore à les chauffer dans nos mains en secret à la nuit tombée pour
essayer de les faire chanter les paroles d'une chanson depuis longtemps
oubliée.
.