jeudi 3 décembre 2015

GLOIRE DE NOTRE DAME

A la gloire de Notre Dame

Les pierres  que nous polissions étaient blanches, issues de bonne carrière. Elles ne s’effritaient point et restaient imperméables à l’humidité.
Avec elles, nous édifiions autrefois les grands châteaux seigneuriaux perchés aux marches des royaumes terrestres comme de blanches sentinelles. Mais notre gloire était l’édification de la cité céleste

Nous étions les bâtisseurs  de Notre Dame  et nous lui offrions ces fleurs de pierre qui gardaient la fraîcheur de la nuit jusqu’au cœur du jour et la chaleur du midi jusqu’au minuit.

Nous étions des hommes droits taillant des pierres franches. Nous exhaussions vers la voûte céleste de grandes nefs en partance sous le souffle divin.
Notre alliance de pierre et de chair était  à l'image de l'Alliance avec Notre Seigneur . Nous n'étions que les outils de sa volonté pour bâtir  Son Royaume éternel.

Certains d'entre nous savaient qu’en taillant les pierres d’une manière à la pleine lune, et en les assemblant suivant un ordre secret, elles feraient écho à  la musique des luths au printemps et à celles des vièles à l’automne finissant. Alors Chartres se gonflait de notes sourdant de la muraille, bondissant sept fois sur le labyrinthe et roulant sous les grands vitraux de lumière. Semblable prodige pouvait s’écouter dans la cathédrale à la Saint Jean

Le prodige des pierres qui chantent était un secret de maçons  inaccessible aux simples profanes.  Mais des envieux ignorants qui jalousaient nos secrets ont soutenu que notre savoir-faire  était l’oeuvre de fées malignes et démoniaques échappées des marais profonds. Ils ont colporté sur nous cette menterie boueuse, à mots couverts, de peur d'être inquiétés. Mais leur parole fielleuse a jeté le trouble.

Les gens de bien savaient que nous n'avions acquis ce don qu’après nous être nous mêmes façonnés de taille pendant de longues années . Et après que nous nous soyons équarris nous-mêmes, il nous était impossible de dévoiler à autrui que les prodiges qui sont naturels à ceux qui avaient fait le chemin de pierre restaient inaccessibles  à ceux qui n'y avait point conduit leur pas.
Là ou d'aucuns soupçonnaient noirs mystères et démoniaque magie il n'y avait que savoir faire ; nous ne pouvions confondre ces menteurs car leurs bouches envieuses crachaient  des mots faux accessibles aux esprits faibles;  notre langue franche et dur comme la roche  nécessitait une lente écoute de l’oreille et une brulante conversion du regard. Nous savions que leurs paroles menteuses rattraperaient nos pas sur les routes qui menaient aux grands chantiers. Le Mal est toujours incompréhensible à celui qui bâtit . Mais même celui là qui n'accepterait pas l'ordre parfois injuste du monde serait bien fou de contrarier ce qui est peut être un  plan secret conçu par la divine volonté .
Dans le monde moderne naissant  le temps des pierres blanches était finissant. Notre temps était consommé.


Depuis les grands châteaux de pierre aux marches du Royaume se sont affaissés.
Les fleurs dans les mains de Notre Dame se sont fanées.
Les carrières sont fermées et les pierres franches ont roulées dans les fossés.
Pourtant nous sommes quelques uns encore à les chauffer dans nos mains en secret à la nuit tombée pour essayer de les faire chanter les paroles d'une chanson depuis longtemps oubliée.

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